Les Inrockuptibles

Le Voyage du prince de Jean-François Laguionie & Xavier Picard

Une suite romanesque et splendide au Château des singes, conte philosophi­que écologiste de 1999, synthétise à merveille la rencontre entre le réel et le rêve.

- Jean-Baptiste Morain

APRÈS LE TRÈS BEAU “LOUISE EN HIVER”, sorti en 2016, on craignait que Jean-François Laguionie, le patriarche (il a 80 ans) de l’animation française depuis la disparitio­n de celui qui l’a formé, Paul Grimault (Le Roi et l’Oiseau), n’abandonne sa planche à dessin. Le Voyage du prince est une sorte de suite, vingt ans après, au Château des singes, l’un des plus beaux films de Laguionie, qu’il avait écrit avec Norman Hudis. Le récit est aujourd’hui repris par Anik Le Ray (coautrice notamment du scénario de L’Ile de Black Mór, autre chef-d’oeuvre de Laguionie). Aidé à la réalisatio­n par Xavier Picard

( Les Moomins sur la Riviera, 2014),

Le Voyage du prince, conte philosophi­que écologiste, est une nouvelle splendeur.

On y retrouve le personnage du prince découvert dans Le Château des singes.

Le vieux singe princier, tel Ulysse, s’échoue un jour sur un rivage inconnu. Il est recueilli par le jeune Tom. Luimême a été trouvé dans la forêt par deux savants qui poursuiven­t leurs recherches à l’écart des institutio­ns qui les ont rejetés. Tom n’est pas comme tous les enfants : il entretient avec les animaux un rapport particulie­r (et pense d’ailleurs que les singes ne sont pas des animaux).

Il les comprend et n’a donc aucun mal à interpréte­r la langue ancienne du vieux prince. Une amitié naît entre l’enfant et le vieillard. On comprend très vite que le prince a traversé la mer sans le vouloir, victime des glaces qui ont cédé sous le poids de son cheval.

Or, les singes évolués chez qui ils débarquent, qui vivent à une époque ressemblan­t à notre XIXe siècle alors que lui vient du Moyen Age, refusent de croire qu’il existe une autre Terre, d’autres singes ailleurs sur la planète. Le prince, entorse à leur doxa, risque d’y perdre la vie. Tom va l’aider à s’en sortir.

La beauté de l’animation et des décors (dont certains rappellent ceux du dessinateu­r belge François Schuiten, d’autres les gravures de Gustave Doré) est d’abord ce qui frappe le spectateur. Le romanesque du récit semble synthétise­r de nombreux contes et romans d’aventures et fantastiqu­es, comme ceux de Stevenson. Enfin, le film regorge de citations des plus grands maîtres du cinéma, d’Eisenstein à Hitchcock en passant par Fritz Lang.

A un moment donné, dans une fête foraine à la Méliès, le prince et Tom (en qui l’on aimerait voir Laguionie et Picard) découvrent ensemble l’existence du cinématogr­aphe, que ses inventeurs décrivent comme une “machine à rêves”. Et le prince éclate de rire devant un pastiche de King Kong, tandis que les autres spectateur­s s’identifien­t au récit comme s’il était réel… Pour le prince, les rêves sont bien plus beaux que ce film en noir et blanc vieillot.

L’aventure se termine par un espoir : Tom a grandi, il retrouve le monde d’où il venait et où il avait appris à comprendre le langage des oiseaux, et le prince tente un retour vers sa terre et les siens, puisqu’il n’a pas sa place de ce côté de la planète des singes. Y parviendra-t-il ? Inutile de préciser que Le voyage du prince est un film pour les enfants de 5 à 105 ans.

Le Voyage du prince de Jean-François Laguionie et Xavier Picard, avec la voix d’Enrico Di Giovanni (Lux., Fr., 2017, 1 h 17)

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