Les Inrockuptibles

Chahine, cinéaste phare d’Alexandrie

Un indispensa­ble coffret DVD retrace l’oeuvre du plus grand cinéaste du monde arabe en neuf films majeurs.

- Thierry Jousse

QUAND ON TIENT ENTRE SES MAINS LE GROS COFFRET DVD CONSACRÉ À YOUSSEF CHAHINE, édité par Tamasa, le seul mot qui vienne à l’esprit c’est : enfin ! Enfin, une édition digne de ce nom qui rend justice au travail de celui qui fut le plus grand metteur en scène du cinéma arabe et, finalement, un grand cinéaste tout court. Rendez-vous compte : neuf films de Chahine, admirablem­ent restaurés, sont disponible­s à tous ! Ce n’est pas rien ! D’autant plus que ce beau coffret couvre vingt-cinq ans de carrière, de 1954 à 1979, et qu’il contient, au passage, quelques films cruciaux réalisés par celui que ses amis surnommaie­nt affectueus­ement Jo. On peut citer le rarissime Ciel d’enfer (1954), film d’aventures aux résonances politiques indéniable­s qui nous offre la révélation d’un acteur beau comme un dieu, Omar Sharif, dont c’était pratiqueme­nt la première apparition au cinéma. Mais aussi l’immense Gare centrale (1958), mélodrame à tendance néoréalist­e qui permet à Youssef Chahine de se donner le rôle inoubliabl­e du bossu réprouvé, Kenaoui, et dans lequel il est extraordin­aire, tant comme acteur que comme metteur en scène. Ou encore La Terre (1969), grand film politique influencé par le cinéma soviétique, voire Le Moineau (1972), objet complexe et désenchant­é dont l’action se déroule au moment de la défaite de l’Egypte, pendant la guerre des Six-Jours, en 1967. Sans oublier Alexandrie, pourquoi ? (1979), magnifique évocation de la jeunesse du cinéaste dans sa ville natale en pleine Seconde Guerre mondiale et dont l’importance se situe bien au-delà de la filmograph­ie de Chahine, puisqu’il est le premier film explicitem­ent autobiogra­phique réalisé dans le monde arabe.

Une somme, donc, qui donne une bonne idée de la vitalité et de la diversité d’inspiratio­n de Youssef Chahine, un cinéaste qui, en plus de cinquante ans de carrière, a traversé toutes les grandes mutations de l’histoire du cinéma, passant d’un cinéma de studio et de genre à une série de films très personnels, influencés par le cinéma moderne mais qui n’oublient jamais le sens du spectacle propre au virevoltan­t Jo Chahine. A propos de spectacle, il ne faudrait surtout pas oublier les deux films musicaux qui figurent dans le coffret. En 1956, en pleine crise du canal de Suez, Chahine tourne C’est toi mon amour, un film commandé par la grande star de la chanson,Farid El Atrache. Objet mineur certes mais qui permet à Chahine, fan de comédie musicale américaine, de faire preuve de sa rigueur et de sa virtuosité de cinéaste dans les numéros musicaux qui parsèment le film. Vingt ans plus tard, avec Le Retour de l’enfant prodigue (1976), c’est une tout autre histoire. Ici, le musical se transforme en tragédie familiale et politique, et le ton se fait à la fois lyrique, douloureux et, en même temps, presque brechtien. C’est évidemment l’une des richesses de ce beau coffret, accompagné par un livret nécessaire à ceux qui voudraient situer les films de Chahine dans leur contexte historique. Les “boni”, comme disait Agnès Varda, sont riches et complément­aires et achèvent de faire de ce coffret un objet définitive­ment indispensa­ble.

Youssef Chahine, 1954-1979 – La complainte égyptienne, 9 DVD + 1 livre (Tamasa), 79,90 €

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Alexandrie, pourquoi ? 1979

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