Les Inrockuptibles

Le planté de platane

Cette saison “tree” de Platane voit Eric Judor et son double de fiction s’essouffler dans un exercice qui manque singulière­ment de sève.

- Léo Moser

DANS UNE SCÈNE DE LA SAISON 3 DE “PLATANE”, ALORS QU’IL TENTE DE TROUVER LE SOMMEIL, Eric Judor est réveillé en sursaut par ses “flashes”, des bribes de rêves et d’idées de scénarios en gestation, qu’il s’empresse de consigner dans un carnet, se gargarisan­t de ses épiphanies nocturnes. Dans l’une d’elles, il incarne un vénérable maître de kung-fu (accent mandarin approximat­if compris), acculé dans une ruelle sombre par un groupe de lascars. Après une conversati­on lunaire dont l’acteur a le secret, il invoque “le pouvoir du prout ancestral”, et lâche une énorme caisse, qui terrasse ses assaillant­s. S’ensuit un énième réveil en sursaut, et une nouvelle retranscri­ption compulsive. Et lorsque sa copine, quelque peu échauffée par les élucubrati­ons nocturnes (et bruyantes) de son compagnon, le conjure de dormir, Eric lui rétorque qu’il ne contrôle pas ses “flashes”, et que c’est ainsi que lui vient son inspiratio­n. Pour peu qu’on lui prête une valeur autobiogra­phique, la scène en question pourrait potentiell­ement expliquer l’état de la saison 3 de Platane. Non pas qu’Eric Judor soit rivé à un humour scatologiq­ue bas du front

– il nous a souvent fait rire aux larmes – ni même que les blagues de prout soient irrecevabl­es – elles font parfois mouche. Simplement, cette troisième saison ressemble à un faisceau informel de gags mal dégrossis, mis bout à bout sans souci de cohérence ou de pertinence, comme s’ils jaillissai­ent de l’esprit tordu de son géniteur, qui les retranscri­rait à l’état brut dans un scénario sans queue ni tête.

Lancée en 2011 sur le mode de la vraie fausse comédie – dans laquelle Eric Judor incarne un double fictif de lui-même –, Platane raconte comment l’acteur, sorti d’un an de coma après s’être pris un platane en pleine poire, doit se réinventer en tant qu’artiste

(et humain) après avoir découvert que Ramzy, son compère de toujours, triomphe en solo dans une suite de H, la série qui a révélé le duo comique. Passé une première saison réjouissan­te, portée par un Eric Judor hilarant et guidée par un humour déflationn­iste délicieuse­ment absurde, la série s’égarait quelque peu dans une deuxième saison inutilemen­t tirée en longueur. Cette nouvelle saison, sortie six ans après la précédente, confirme hélas la tendance. Reconverti pubard après l’échec de ses tentatives de come-back sur la scène comique, Eric ambitionne toujours de reprendre sa vie d’artiste en main, mais sa propension à la catastroph­e autant que sa poisse légendaire déjoueront une fois de plus ses plans.

La recette reste la même entre enchaîneme­nt de situations absurdes, clowneries judorienne­s et défilé de guests s’autoparodi­ant – Laurent Lafitte, Florence Foresti, Mathieu Kassovitz ou Gilles Lellouche –, mais cette “saison tree’’ (à la gestation pourtant longue) semble n’avoir plus rien à raconter et se contente d’empiler des gags capillotra­ctés qui gagnent en absurdité ce qu’ils perdent en humour tranchant. Si l’air ahuri de Judor, son franglais proverbial, ou ses tentatives d’imitations (parfois limites) parviennen­t à nous décrocher un sourire occasionne­l, le comédien semble bien incapable, à l’image de son double fictif et loser, de retrouver les sommets.

Platane sur Canal+ à partir du 9 décembre

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Eric Judor et Hafid F. Benamar

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