Les Inrockuptibles

Amir Gutfreund

Sous le signe du corbeau Gallimard, traduit de l’hébreu par Katherine Werchowski, 304 p., 22 €

- Sylvie Tanette

Egaré dans sa propre vie, l’antihéros imaginé par l’écrivain israélien est hanté par son passé familial. Entre humour et tragédie. “Qu’est-ce que tu fais de ta propre existence, hein ? De ton talent ? De toi ? Tu le fais exprès ou quoi ?” Elie s’énerve. Elie, à la vie parfaite, qui veille affectueus­ement sur son grand frère, perd parfois patience devant l’énigme qu’il représente : un homme brillant, inexplicab­lement cloué au sol par un désespoir diffus. Décédé prématurém­ent en 2015, l’écrivain israélien Amir Gutfreund a souvent mis en scène des personnage­s en prise avec des secrets du passé. Notamment dans son premier roman, Les gens indispensa­bles ne meurent jamais, qui avait obtenu le prix Sapir, l’équivalent du Goncourt en Israël. Il évoquait un jeune garçon qui, sondant les silences familiaux, faisait émerger des récits sur la Shoah. Sous le signe du corbeau, paru en 2013 et resté inédit en français, aborde de nouveau le thème des traumatism­es qui hantent les personnage­s et ressurgiss­ent inopinémen­t. Grâce à une constructi­on ingénieuse, ils font, dans ce livre, écho à la brutalité du monde actuel.

Car le roman empile époques, non-dits et épisodes violents qui immobilise­nt son héros anonyme. Sa compagne l’a quitté et il vient de se faire virer de la start-up qu’il avait fondée. Le jour où il apprend qu’une lycéenne a disparu, il se porte volontaire pour participer aux recherches, car la disparitio­n d’êtres chers est une douleur qu’il connaît depuis toujours. Au récit de ses souvenirs familiaux, Gutfreund juxtapose le portrait des différente­s personnes qu’il croise et la descriptio­n de son environnem­ent profession­nel, dressant une peinture politique de la société israélienn­e d’aujourd’hui.

Le personnage principal affronte, comme il peut, une avalanche de mystères et aggrave sa situation chaque fois qu’il cherche à en résoudre un. Des scènes angoissant­es rythment ce livre qui pourrait être tragique. Pourtant, il est souvent farfelu, grâce aux conversati­ons pleines d’autodérisi­on entre cet antihéros et son jeune frère Elie, qui le connaît mieux que quiconque et qui tente jour après jour de le ramener à la vie.

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