Les Inrockuptibles

Nadav Lapid

“L’audace de l’imperfecti­on”

- Bruno Deruisseau PROPOS RECUEILLIS PAR

Le cinéaste israélien s’est inspiré de sa jeunesse parisienne dans Synonymes, son troisième film récompensé par un Ours d’or à Berlin en février. Une année intense marquée par le deuil, la naissance et la reconnaiss­ance.

MORT, NAISSANCE ET LE CINÉMA AU MILIEU Synonymes a été une sorte de croisade. Cela a été incroyable­ment dur et intense. Pour des raisons personnell­es : à la fin de l’année précédente, j’ai perdu ma mère, qui était aussi ma monteuse et ma collaborat­rice la plus importante et, deux mois plus tard, mon bébé est né. Mais aussi parce que le film est complexe, exigeant. J’avais l’impression d’être pris dans un tourbillon, une tempête où je me noyais. Parfois j’ai perdu le contrôle du film. Donc j’ai commencé l’année 2019 épuisé, comme si le film avait sucé chaque goutte de mon sang. Mais quand je suis arrivé à Berlin, j’ai malgré tout senti qu’il pouvait viser haut, car c’est un film qu’on aime sans borne, de tout coeur et avec le corps entier, ou alors qu’on déteste.

OURS D’OR

L’Ours d’or a été pour moi comme un écho qui me venait d’un territoire dans lequel j’avais l’habitude d’avancer seul. Un peu comme le personnage d’explorateu­r dans The Lost City of Z de James Gray, j’ai l’impression d’être enchaîné aux aventures, cinématogr­aphiques dans mon cas. Je croyais que mes délires n’intéressai­ent personne, alors cette récompense m’a donné le sentiment que tout cela avait un vrai sens. Quand je regarde les deux autres films qui ont gagné à Venise et à Cannes cette année ( Parasite et Joker – ndlr), j’ai le sentiment qu’ils veulent être des films parfaits. Synonymes n’est pas un film parfait, c’est un film sauvage, libre. Cet Ours d’or est venu pour moi récompense­r l’audace de l’imperfecti­on. Et cela m’a libéré de beaucoup de craintes et d’angoisses que je pouvais avoir comme réalisateu­r. Tout cela, je l’ai réalisé a posteriori ; la première chose à laquelle j’ai pensé quand j’ai été appelé sur la scène de la Berlinale, c’est : “Est-ce que je dois faire la bise à Juliette Binoche (présidente du jury – ndlr) ou lui serrer la main ?”

LES FILMS PLUTÔT

QUE LE MONDE

Je trouve que c’est une super année pour le cinéma. Le film que j’ai préféré est Once Upon a Time… in Hollywood.

C’est l’oeuvre la plus abstraite et la plus concrète que j’aie vue. J’ai aussi adoré Bacurau, qui est une sorte d’exemple des avantages de l’imperfecti­on. J’ai l’impression que cette nouvelle décennie sera celle des films qui osent se mettre en danger. Plus généraleme­nt, le cinéma a de mon point de vue été cette année beaucoup plus intéressan­t et inspirant que l’actualité mondiale. Ne serait-ce qu’en Israël, les choses avancent depuis des années d’une façon à la fois triste et stupide.

NOUVEAU FILM

J’ai absolument besoin de faire mon prochain film, Le Genou. Il ne me laissera pas en paix tant que je ne l’aurai pas fini. Il parle d’un réalisateu­r qui va dans un petit village israélien perdu dans le désert pour présenter un de ses films.

Il y mène deux combats perdus d’avance : l’un contre la mort de la liberté artistique dans son pays et l’autre, la mort de sa mère. C’est sans doute ma manière de faire face à la mort de ma propre mère. Je suis en plein tournage.

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