Les Inrockuptibles

ANAÏS DEMOUSTIER

Eblouissan­te cette année dans Alice et le Maire de Nicolas Pariser et Gloria Mundi de Robert Guédiguian, l’actrice raconte une année pleine de découverte­s.

- PROPOS RECUEILLIS PAR Jean-Marc Lalanne PHOTO Felipe Barbosa pour Les Inrockupti­bles

“ALICE ET LE MAIRE” Ma première fois à la Quinzaine des réalisateu­rs, c’était mémorable.

La grande surprise, c’était l’accueil si chaleureux de la salle qui était très très rieuse ! Nicolas Pariser m’a dit pendant la projection :

“J’ai l’impression qu’on a fait La Chèvre !” Avec Fabrice Luchini, on se regardait, complices et heureux, et c’était touchant de le voir si ému à la fin de la projection, lui qui est toujours assez pudique.

Ce succès public est une immense satisfacti­on ! Constater qu’un film comme celui-là, exigeant, qui donne à réfléchir et ne prend pas les spectateur­s pour des imbéciles, rencontre un public nombreux a été d’un grand réconfort pour moi.

Ce qui attire les gens ou non vers un film est toujours un grand mystère. Je crois que les Français ont un intérêt certain pour la politique et le théâtre politique. Alice et le Maire a suscité la curiosité parce qu’il n’était pas satirique et que le regard porté sur tout ça n’était pas manichéen. De plus en plus, il me semble que les Français, comme moi, sont déçus par leurs représenta­nts politiques – les citoyens ont davantage accès aux “affaires” qu’à une parole politique qui soulève ou, encore mieux qui élève. Ce désarroi, c’est aussi ce que le film aborde. Par ailleurs, Alice incarne aussi une génération instruite mais qui peine à trouver une place dans le monde. Une jeunesse étudiante sans but précis ni grande ambition. Ce mal-là est très contempora­in et beaucoup de jeunes gens m’ont dit qu’ils s’étaient reconnus.

GLORIA MUNDI

Le cinéma de Guédiguian, c’est pour moi la chance d’éprouver les bienfaits de la cohérence, de la fidélité et de l’amitié dans le travail. Je n’oublierai jamais mon émotion quand j’ai découvert le flash-back que Robert a intégré dans le film La Villa. On y voit les mêmes acteurs trente ans plus tôt dans le même décor (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan). J’ai compris à travers ce plan ce qui était si précieux et si rare dans sa manière de fabriquer des films. C’est une grande chance de connaître Ariane, Robert et les autres, ce sont des gens sur qui je sais que je peux compter au même titre que des membres de ma famille. Travailler avec un cinéaste plusieurs fois donne une confiance qui permet d’explorer des rôles très différents. Dans Gloria Mundi, j’ai pu jouer un personnage foncièreme­nt en colère et je n’avais pas exprimé ça avant. J’ai adoré ! Robert Guédiguian fait partie de ces cinéastes, comme Pascale Ferran ou François Ozon, chez qui j’ai pu observer que le cinéma est depuis toujours un langage et une nécessité. Ça fait plaisir à voir ! Et Ariane Ascaride qui reçoit son prix à Venise et le dédie, comme une boucle bouclée, à son père immigré d’origine italienne, c’est beau.

DES PEURS, DES CHAGRINS

Le populisme un peu partout. L’Amazonie en flammes. Les buzz à tout bout de champ de Donald Trump sur Twitter ! Avec en tête la photo de lui en Rocky Balboa.

Ça fait froid dans le dos… La mort de Steve Maia Caniço à la Fête de la musique à Nantes. Que le Dupont de Ligonnès retrouvé ne soit pas Dupont de Ligonnès ! Assister à la demi-finale de Roland-Garros, voir Federer sorti en trois sets par Nadal, match expédié, sortie tête basse de Roger (j’ai cru que

“Les bienfaits de la fidélité et de l’amitié dans le travail”

ce serait son dernier Roland, mais il a annoncé qu’il serait là en 2020 !). Apprendre le degré de marasme judiciaire dans lequel se retrouvent les femmes victimes de violences ou de harcèlemen­t. Et puis les disparitio­ns : Marie Laforêt, Jacques Chirac et, par-dessus tout, Jean-Pierre Marielle. Des noms de mon enfance qui rappellent que le temps passe et que des pages se tournent… Maurice Bénichou aussi, qui était un grand acteur avec qui j’avais tourné mon premier film chez Haneke ( Le Temps du loup, 2003 – ndlr) et qui était d’une gentilless­e inouïe sur le tournage.

DES MOTIFS DE JOIE

La libération de la parole des femmes, dans le cinéma et ailleurs. Le chemin vers la fin de certains abus de pouvoir et d’autorité. Mieux vaut tard que jamais. Merci à Adèle Haenel et aux autres.

DES FILMS AIMÉS Asako I & II de Hamaguchi. Le cinéma qui me donne des bouffées de plaisir ! Parasite de Bong Joon-ho. Douleur et Gloire de Pedro Almodóvar. Tu mérites un amour d’Hafsia Herzi. C’est ça l’amour de Claire Burger. Chambre 212 de Christophe Honoré.

Grâce à Dieu de François Ozon. Sibyl de Justine Triet (je suis totalement fascinée par Virginie Efira dans ce film, ce qu’elle donne sous le regard de Triet !). Le Dernier des hommes de Murnau (rétrospect­ive au Christine Cinéma Club). Le Professeur de Valerio Zurlini (rétrospect­ive au Christine Cinéma Club). Habemus Papam, chef-d’oeuvre absolu de Nanni Moretti découvert cette année (trop tard) grâce à Netflix.

UN LIVRE

Rupture(s) de Claire Marin.

DES DISQUES

J’écoute tout en vrac, je découvre les trucs bien plus tard, je ne saurais pas dire ce qui date de 2019 dans mes playlists de l’année, à part PNL, Deux Frères. En 2019, j’ai adoré voir, sur la scène de l’Opéra Garnier, la soprano Pretty Yende, née en Afrique du Sud, ma nouvelle idole ! Je l’ai vue dans Don Pasquale et La Traviata – mise en scène géniale de Simon Stone ! Mon coup de coeur à l’Olympia : Benjamin Biolay et Melvil Poupaud, interpréta­nt les morceaux de Songbook. Leur amitié, leur plaisir de jouer ensemble et quelques-uns de mes titres préférés de Biolay seul au piano, c’était sublime ! Enfin, j’ai adoré Stallone, de Fabien Gorgeart et Clotilde Hesme, sur la scène du Centquatre.

DES SÉRIES

Chernobyl ! Aussi glaçant que génial !

UN VOEU POUR 2020 Federer vainqueur à RolandGarr­os. Un maximum de chefs-d’oeuvre à écouter, à regarder et à tourner. Revoir OrelSan en concert, voir Stevie Wonder sur scène, etc.

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