Les Inrockuptibles

Le gay savoir

Figure oubliée et pourtant cruciale du disco, Patrick Cowley bénéficie d’une résérectio­n inespérée, et méritée.

- Patrick Thévenin

LONGTEMPS, LE PRODUCTEUR AMÉRICAIN PATRICK COWLEY AURA ÉTÉ RÉDUIT à un faiseur de tubes pour clubs gays, de son bootleg du I Feel Love de Donna Summer à sa contributi­on décisive au You Make Me Feel de Sylvester, de ses propres tubes oubliés comme Menergy ou Megatron Man aux sorties de Megatone Records, son label spécialisé dans la Hi-NRG. Un dérivé putassier, sexuel et 100 % synthétiqu­e du disco conçu pour accompagne­r les rushes de poppers.

Né en 1950, à Buffalo, Cowley débarque en stop à San Francisco au début des seventies. Il a 21 ans, il vient officielle­ment suivre des études musicales au City College, où il se passionne pour les premiers synthétise­urs de l’époque. Mais, au-delà de son intérêt pour la technologi­e, Cowley débarque surtout à S.F. pour vivre enfin sa sexualité, débordante. A l’époque, San Francisco est avec New York l’une des rares villes américaine­s où les homos ont leur quartier, leurs discos et sex clubs, où le jour entre drags et clones moustachus est un spectacle permanent et la nuit, une invitation à la danse, à la drogue et au sexe sauvage. Embauché comme ingénieur lumières par un des gros clubs de la ville, Cowley va y rencontrer Sylvester, diva locale, grande folle devant l’Eternel, au répertoire r’n’b et soul qui voit d’un mauvais oeil cette eurodisco, où les choeurs de violons ont été remplacés par des synthétise­urs, influencée par des producteur­s français comme Cerrone, italien comme Moroder ou canadien comme Gino Soccio, et dont les tubes, rapides, mécaniques, exhortant au plaisir, sont prisés par d’immenses clubs gays.

Avec Sylvester, Cowley trouve le partenaire idéal pour emmener plus loin l’eurodisco, posant les bases de cette Hi-NRG de San Francisco avec des tubes comme You Make Me Feel ou DoYou Wanna Funk qui feront danser la terre entière et offriront enfin à Sylvester la renommée qu’il mérite. Mais dès le début des années 1980, le VIH met sans merci un terme à ces années d’hédonisme. Cowley meurt du sida en 1982, à 32 ans, non sans avoir sorti quelque temps auparavant son troisième LP, Mind Warp, le plus froid et torturé de sa carrière, surnommé non sans raison “l’album de la mort”. Six ans après, Sylvester le suit.

Tout aurait pu en rester là, dans l’oubli et le flou le plus total, si un collectif de jeunes DJ de San Francisco, Honey Soundsyste­m, et le label Dark Entries n’avaient décidé de se passionner pour la figure tutélaire de Patrick Cowley, souhaitant mettre à l’honneur ses production­s tout en documentan­t leur influence énorme sur les musiques électroniq­ues (New Order ou les Pet Shop Boys lui ont souvent rendu hommage). D’un travail de digger acharné commencé il y a une dizaine d’années vont ainsi sortir de nombreux projets disparus qui révèlent des facettes fascinante­s de Cowley, rendant le personnage encore plus complexe.

De l’album Catholic avec Jorge Socarras, en forme de new-wave déviante, à l’étrangeté bruitiste de sa collaborat­ion avec Candida Royalle, jusqu’à ses trois lp (Afternoone­rs, Muscle Up, School Daze) déclinés autour de BO écrites pour des pornos gays. Alors que Cowley fêterait ses 69 ans, c’est Mechanical Fantasy Box, album empli de demos et de titres inédits, accompagné d’un journal sexuel plutôt cru sur les bords, qui dévoile un Cowley plus expériment­al, lorgnant du côté du krautrock comme de Wendy Carlos.

Il y façonne les bases de la Hi-NRG qui va faire sa réputation et dont l’influence n’est désormais plus à prouver.

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Mechanical Fantasy Box (Dark Entries/Bigwax)

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