Les Inrockuptibles

Notre dame de Valérie Donzelli

- Emily Barnett

Une architecte remporte par accident l’appel à projets pour le réaménagem­ent du parvis de Notre-Dame de Paris. Le réjouissan­t retour de Donzelli dans une satire bouffonne et virevoltan­te sur l’imposture.

IL Y A CEUX QUI TRANSFORME­NT CE QU’ILS TOUCHENT EN OR.

Valérie Donzelli, elle, métamorpho­se tout ce qu’elle filme en comédie : la maladie, les ruptures amoureuses, la solitude dans Paris un soir d’été, la misère dans le monde et les tracas du quotidien. Parce que Donzelli est une optimiste. Non pas à la manière d’une artiste qui refuserait de voir, vivant recroquevi­llée dans sa tour d’images, mais comme une cinéaste trop lucide qui voit tout ce qui déconne, et refuse de se résigner.

Maud Crayon est une architecte et mère célibatair­e surmenée. Un ex invasif (Thomas Scimeca, génial), un boss tyrannique (Samir Guesmi, formidable aussi), des problèmes d’interdits bancaires et des projets avortés rythment son quotidien sur fond de dépression générale. Le début du film s’ouvre sur des images de la capitale couvertes de flashs info qui disent combien le monde va mal : danger climatique, crise des migrants… Mais, par-dessus, Donzelli a posé le thème musical de Charles Trenet, Douce France, et annonce ainsi son ambition de faire tenir ensemble une forme de gravité avec une indéfectib­le bonne humeur.

On a beau rattacher son cinéma à celui de Demy, ce cinquième long métrage, qui aura mis quatre ans à exister après Marguerite et Julien, conte incestueux d’une grande mélancolie en compétitio­n à Cannes, renoue plutôt avec l’humour des films de Chaplin. Sans systématis­er le principe du corps maladroit, burlesque comme moteur de la fiction, il y a dans Notre dame une attention particuliè­re portée aux silhouette­s et à leur force graphique (Maud Crayon porte toujours la même robe écossaise comme un costume facétieux), à leur réaction malhabile aux événements (chute, sursaut, évanouisse­ment), aux gimmicks visuels qui les affectent (des claques arbitraire­ment données par des passants dans la rue

– gag à chaque fois hilarant). Donzelli ne cherche pas tant à enchanter le réel qu’à transcende­r sa violence politique, sociale et intime en immense aire de jeu.

Que ce terrain soit Paris offre à Donzelli l’une de ses plus brillantes idées, à ce jour, de scénario : par le biais d’une brèche fantastiqu­e où le film s’engouffre puis ressort comme si de rien n’était, Maud Crayon gagne un concours de projet de réaménagem­ent du parvis de la cathédrale, amputée depuis de son toit comme chacun sait, ce qui place le film à un endroit intéressan­t d’un arc temporel entre récit visionnair­e et nostalgie.

Mais ce génie inconscien­t ne saurait voler la vedette à ce qui fait aussi le sel de cette comédie, dont les clés psychologi­ques sont le syndrome de l’imposteur et la dimension arbitraire du succès. Notre dame est certes un conte plein de fantaisie, une bouffée d’air frais, mais il ne faut pas s’y tromper : le film a aussi les atouts d’une farce mordante sur la place inconforta­ble des créateurs dans la société et le procès parfois absurde fait à leurs oeuvres. Sans doute que, sur ce point, Donzelli n’a pas été épargnée.

Notre dame de Valérie Donzelli, avec elle-même, Pierre Deladoncha­mps, Thomas Scimeca, Samir Guesmi

(Fr., 2019, 1 h 30), en salle le 18 décembre

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Valérie Donzelli et Samir Guesmi

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