Les Inrockuptibles

Jésus d’Hiroshi Okuyama

Une première oeuvre très prometteus­e qui parvient à dépasser son pitch malin pour toucher le spectateur au coeur.

- Jean-Baptiste Morain

“JÉSUS” EST LE PREMIER FILM D’UN JAPONAIS DE 23 ANS, HIROSHI OKUYAMA, dont on peut dire qu’il est un cinéaste, tant son univers est à la fois original et affirmé. La délicatess­e y côtoie l’amertume, le tragique et un humour narquois, un peu kitsch. Qu’on en juge : un jeune garçon, Yura, débarque dans un village de province enneigé avec ses parents. Comme il n’y a pas d’école publique, il va devoir fréquenter les bancs de l’école catholique. Et là, lors d’une prière, Jésus lui apparaît soudain. On pourrait même dire le “petit” Jésus car, bien qu’adulte, il doit mesurer à peu près quinze centimètre­s. Jésus est joueur, un bon copain, l’ami imaginaire parfait. Yura, qui a du mal à s’intégrer, se sent moins seul. Et puis Jésus exauce les voeux de Yura : se faire un ami ? Ce sera Kazuma, la star de la classe. Un peu d’argent ? La grand-mère de Yura découvre la cassette de son défunt mari et y trouve 1000 yens (8 euros), somme qui semble considérab­le à Yura... Tout va bien.

L’amitié profonde entre Yura et Kazuma, leurs jeux dans la neige, est alors longuement décrite avec tendresse, pour l’inscrire dans nos coeurs. Au moment où l’on se demande si le brillant du pitch de départ ne va pas s’essouffler, Okuyama nous mène au coeur de son sujet. Et le film va devenir un récit initiatiqu­e. Yura va mûrir, comprendre certaines choses, faire des choix. Tout cela a la grâce de n’être jamais dit, mais

suggéré par la mise en scène, et c’est bien ce qui signe l’authentici­té d’un cinéate.

Car une image revient plusieurs fois dans ce film hivernal et elle est sans doute importante, puisqu’elle ouvre et referme le film. Celle de l’opacité du papier, même quand il est fin, quasiment du calque. Dès le premier plan (fixe, comme beaucoup dans le film), un vieil homme (le grand-père de Yura) chantonne seul dans sa chambre, puis s’approche d’un panneau recouvert de papier si typique des maisons traditionn­elles japonaises. Il mouille son doigt puis le pose au milieu du papier. Plus tard, nous découvriro­ns que le vieil homme n’avait plus toute sa tête et qu’il passait son temps à faire des trous dans les cloisons. L’avant-dernier plan du film montre Yura, qui n’a cessé pendant tout le film d’essuyer la buée des vitres pour voir ce qui se passe derrière, troue lui-même avec son doigt la cloison qu’il avait réparée avec sa grand-mère au milieu du film et regarde à travers le trou. Cette image inaugurale d’un cinéaste − faire des petits trous ici et là pour regarder le vaste monde − est très émouvante et augure d’une belle oeuvre à venir. Le film sort le jour de Noël, et c’est parfait ainsi.

Jésus d’Hiroshi Okuyama avec Yura Satô, Riki Ôkuma, Hinako Saeki, Chad Mullane (Jap., 2019, 1 h 16), en salle le 25 décembre

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France