Les Inrockuptibles

Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang

- Jean-Baptiste Morain

Une chronique familiale cruelle et douce dans la Chine d’aujourd’hui : un premier film d’une pure beauté.

C’EST L’HISTOIRE D’UNE FAMILLE, AU COURS DES QUATRE SAISONS DE L’ANNÉE, dans une région chinoise assez prospère, celle de la ville de Fuyang, en pleine transforma­tion (on abat des quartiers entiers pour reconstrui­re plus haut, plus beau). C’est l’été, et l’on fête les 70 ans de la matriarche (“Mum”), veuve depuis un an. Victime d’un AVC pendant le dîner, elle ne peut désormais plus vivre seule. Or, tous les membres de la famille sont endettés, pour des raisons diverses, et vont devoir se relayer pour la prendre en charge.

La famille de Mum est une famille très traditionn­elle dans son fonctionne­ment. La vieille dame a eu quatre fils, qui parlent les uns des autres en respectant leur place dans l’ordre de la fratrie. Il y a donc “l’aîné” (qui tient un restaurant), “le deuxième fils” (qui est pêcheur), le “troisième” (qui joue trop dans les tripots, a un fils trisomique et va devenir escroc) et le “cadet” (qui travaille lui aussi mais est très balourd – surtout avec les femmes). Les lois de la famille et son honneur doivent être respectés. L’union doit être maintenue, envers et contre tout.

Notamment contre les difficulté­s sociales et économique­s qui touchent chacun. Heureuseme­nt, la génération suivante veut s’émanciper. Les jeunes filles, en particulie­r, veulent choisir leur mari, contre l’avis de leurs parents, surtout de leurs mères ! Des conflits vont donc naître.

Mais la beauté du film tient tout entière dans sa mise en scène très douce (on pense parfois à Edward Yang, l’auteur de Yi Yi, ou à Hou Hsiao-hsien), inspirée à Gu Xiaogang par l’un des chefs-d’oeuvre de la peinture chinoise sur rouleau du XIVe siècle, de près de sept mètres de long, réalisé par le peintre Huang Gongwang, qui porte le même titre que le film.

C’est que l’histoire de la famille et les paysages de la région ne font qu’un. Les coeurs suivent le cours du fleuve, la vie glisse doucement au fil de l’eau et des saisons. Chacune d’entre elles amène par ailleurs sa fête, et les cadeaux que l’on est obligés de se faire pour respecter une fois de plus la tradition. Tout change pour continuer, et les saisons reviennent.

Gu Xiaogang filme beaucoup les paysages, et ses personnage­s au coeur de ceux-ci, notamment lors d’un très long plan-séquence, lent travelling qui suit la nage d’un jeune homme qui tente d’aller aussi vite que son amoureuse, qui, elle, marche sur la terre ferme, puis leur déambulati­on lorsqu’il sort de l’eau jusqu’au ferry qu’ils doivent emprunter. C’est tout simple, sans volonté d’en imposer, et pourtant majestueux et bouleversa­nt.

La précision et l’expressivi­té de la mise en scène de Gu est telle qu’un geste d’une grande banalité peut vous émouvoir énormément : le fils pêcheur, homme un peu fruste et timide, achète à un moment une écharpe à son épouse, sur un marché, et elle paraît soudain si heureuse que les larmes vous montent aux yeux.

Autre bonne nouvelle : ce film miraculeux, qui fit la clôture de la Semaine de la critique cette année à Cannes, est la première partie d’une trilogie intitulée Mille Miles le long de la rivière Yangtsé.

Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang, avec Qian Youfa, Wang Fengjuan, Zhang Renliang (Ch., 2019, 2 h 30), en salle le 1er janvier

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