Les Inrockuptibles

Lesbiennes rebootées

Sous-titrée “Generation Q”, THE L WORD revient, dix ans après, en tentant de corriger les loupés de la série originelle.

- Marie Kirschen

“HELLO AGAIN”, PROMETTENT LES AFFICHES PROMOTIONN­ELLES DU SEQUEL DE LA SÉRIE LESBIENNE CULTE. Oui, les revoilà. Enfin, pas toutes. Sur la petite bande de Los Angeles, seuls trois personnage­s ont rempilé pour les huit épisodes de The L Word : Generation Q, lancée le 8 décembre et disponible “à l’heure US” sur Canal+

Séries. Les doyennes ont été rejointes par quatre personnage­s censés incarner cette “génération Q” (comme “queer”) du nouveau titre. Avec pour but d’apporter un peu de sang frais et de renouveler une série dont la sixième et dernière saison, en 2009, manquait sévèrement de souffle.

Le pari était risqué : il n’est pas toujours aisé d’introduire des nouveaux

protagonis­tes à la hauteur de personnage­s déjà longuement travaillés et d’autres séries (on pense notamment à Glee) se sont cassé les dents sur ce type de projet. Mais, à la vision des trois premiers épisodes disponible­s, on peut être soulagé : la sauce prend.

Désormais, Bette a franchi une étape de plus sur l’échelle du girl power et tente de se faire élire maire de L.A. ; Alice cartonne avec un show à la Ellen DeGeneres et Shane, plus riche que jamais, voyage nonchalamm­ent en jet privé. Too much ? Peut-être un peu, mais l’ensemble vise un ton feel-good et assume joyeusemen­t l’envie de nous faire rêver avec du glamour à la pelle (ah, les piscines ! les palmiers !). Pour la critique du capitalism­e, on repassera.

Bien sûr, le ton se veut résolument féministe. Marja-Lewis Ryan, la showrunneu­se qui a pris la suite d’Ilene

Chaiken (désormais productric­e exécutive), fait un clin d’oeil à Time’s Up dès les premières minutes et prend un malin plaisir à diriger ce ballet de femmes puissantes. Comme, par exemple, avec ce caméo de la footballeu­se Megan Rapinoe, Ballon d’or 2019, qui n’a pas d’autre fonction que de nous offrir quelques secondes de celle qui est probableme­nt la lesbienne la plus successful de l’année écoulée. Juste pour le plaisir.

Avec cette suite dix ans après, MarjaLewis Ryan avait aussi – et surtout – pour feuille de route de racheter les péchés du passé. Il avait beaucoup été reproché à The L Word d’avoir maltraité son unique personnage transgenre et de s’être complu dans une version trop blanche de l’homosexual­ité féminine. Du côté des nouveaux venus, on trouve donc un couple de femmes latinas et un homme trans d’origine asiatique. Parmi les personnage­s secondaire­s, trois autres sont joués par des acteurs et actrices transgenre­s, dont l’excellente Jamie Clayton (Sense8). Mais est-ce suffisant pour prétendre dépeindre la jeune génération queer ? Probableme­nt pas.

Car, désormais, The L Word souffre un peu de la comparaiso­n avec les shows qui se sont multipliés ces dernières années. Quand la série débarque sur Showtime en 2004, les personnage­s lesbiens sont une denrée rare et sont souvent caricaturé­s en figures repoussoir­s. En mettant au premier plan un groupe de femmes homos ou bies, le show d’Ilene Chaiken bouscule les codes et marque son époque : aucune série n’a, depuis, occupé une telle place hégémoniqu­e dans la culture lesbienne. Une force qui sera aussi sa faiblesse, puisque certaines lui reprochero­nt, un peu injustemen­t, de ne pas compenser à elle seule tous les ratés du petit écran.

Aujourd’hui, le paysage a bien changé. Citons pêle-mêle Orange Is the New Black, Sense8, The Bisexual, Transparen­t ou encore le nouveau venu Work in Progress (également sur Showtime), qui explorent ou ont exploré des terrains parfois bien plus transgress­ifs que les vies sentimenta­les des riches héroïnes de la côte Ouest.

2019 n’est pas 2004, et malgré ses réussites et ses audaces (on pense notamment à cette scène de cunni en période de règles qui ouvre le premier épisode), The L Word nouvelle version ne pourra jamais retrouver cette place toute particuliè­re qui fut la sienne. Et si, paradoxale­ment, le fait d’être délivrée de ce statut de grand commandeur était la meilleure chose qui pouvait lui arriver ? Désormais, on pourra savourer Generation Q pour ce qu’elle est sans lui reprocher ce qu’elle n’est pas. C’est tout ce qu’on lui souhaite.

The L Word : Generation Q sur Canal+ Séries

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Rosanny Zayas, Leo Sheng, Arienne Mandi et Jacqueline Toboni

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