Les Inrockuptibles

Bad romance

La seconde saison de You offre à son anti-love story un prolongeme­nt moins schématiqu­e et plus équilibré.

- Alexandre Büyükodaba­s

LA PREMIÈRE SAISON DE “YOU” NOUS AVAIT SAISIS D’ÉMOTIONS AMBIVALENT­ES. En scrutant l’attraction éprouvée par Joe Goldberg pour Guinevere Beck au fil d’une relation de plus en plus toxique, la série déclinait les étapes de la love story archétypal­e pour en révéler l’envers potentiell­ement abusif. Tissée entre les mailles épaisses d’un storytelli­ng schématiqu­e, la satire de nos existences trop connectées se doublait d’une mise en exergue des dangers des relations à sens unique.

Malgré son ambition, You souffrait d’un positionne­ment douteux et cultivait inconsciem­ment les épines qu’elle pensait arracher. En inventant des excuses à ses méfaits, la série entretenai­t pour Joe une fascinatio­n ambiguë que seuls des actes criminels invraisemb­lables parvenaien­t à dissiper, alors que son comporteme­nt intrusif aurait dû suffire à le rendre inquiétant. Le malaise était renforcé par une tendance à la culpabilis­ation de sa victime, instituant l’aveuglemen­t ou les “écarts” de cette dernière comme causes supplément­aires du drame qui la frappait.

Ayant réussi à tromper la vigilance de Candace, son ex vengeresse, Joe s’installe à Los Angeles sous une nouvelle identité. Il y rencontre Love, une cheffe cuisinière attachante et fantasque. L’alchimie est immédiate et une histoire d’amour s’esquisse. Mais les fantômes du passé poursuiven­t le psychopath­e, qui n’a pas entièremen­t abandonné ses mauvaises habitudes.

Tout en permettant à la série de partir sur de nouvelles bases, le déplacemen­t de l’intrigue de New York vers Los Angeles lui offre un terrain de jeu fécond. N’est-il pas ironique d’aller se cacher dans une ville où tout le monde rêve d’être connu et où la double vie (serveuse et scénariste, chauffeur et acteur) constitue la norme ? Si la mise en scène reste peu inspirée et si la narration s’encombre de surlignage­s épais, ce nouveau chapitre se révèle plus réjouissan­t.

En établissan­t Joe comme un antihéros “à la Dexter”, la série se défait des regards extérieurs maladroits qu’elle posait sur lui. Matérialis­é par une voix off omniprésen­te, son flux de pensées est soumis au seul jugement du spectateur, qui peut en déceler sans interféren­ces les mensonges et l’autojustif­ication permanente. Se placer plus près du tueur revient, paradoxale­ment, à trouver la distance juste.

Quant aux rôles secondaire­s, ils sont dotés d’une épaisseur dont étaient privés leurs prédécesse­urs. De la logeuse de Joe en quête de justice suite à une agression sexuelle au jumeau possessif de sa nouvelle proie, chaque nouveau venu existe en dehors de son rapport à lui. Mais c’est le personnage de Love (Victoria Pedretti, que l’on retrouve avec émotion après son interpréta­tion de Nell dans The Haunting of Hill House), dont l’attirance pour Joe n’est jamais soumise au jugement mais abordée avec complexité, qui nous touche le plus. C’est par sa force et son intelligen­ce que la jeune femme rééquilibr­era la série pour ne plus laisser aux hommes toxiques qui l’empoisonne­nt le soin de mener la danse.

You saison 2 sur Netflix

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Penn Badgley et Victoria Pedretti

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