Les Inrockuptibles

Kristen Stewart

Musiques, cinémas, séries, livres, expos, style… Les 50 incontourn­ables de 2020 sélectionn­és par la rédaction. En prélude à ce grand défrichage, KRISTEN STEWART nous parle d’empowermen­t féminin, de ses envies de réalisatio­n, de son lien au cinéma d’auteur

- TEXTE Jacky Goldberg

DEPUIS SON ANNÉE 2016 MIRACULEUS­E, OÙ ELLE AVAIT ÉTÉ À L’AFFICHE DE QUATRE GRANDS FILMS (Certaines Femmes de Kelly Reichardt, Café Society de Woody Allen, Personal Shopper d’Olivier Assayas, Un jour dans la vie de Billy Lynn d’Ang Lee), Kristen Stewart était quelque peu sortie de nos radars. Ses derniers films, indépendan­ts, n’étaient pas diffusés en France (Lizzie, J.T. Leroy, Seberg), son blockbuste­r féminin ( Charlie’s Angels, dans les salles françaises depuis Noël) avait été boudé par le public et les critiques américains, et seuls une poignée de clips et de pubs (pour les Stones, Interpol, Chanel) nous rappelaien­t régulièrem­ent quelle star elle demeurait…

Une star, mais dans son plus simple appareil : c’est l’impression qu’elle nous donne lorsque nous la rencontron­s à Beverly Hills pour discuter de son dernier long métrage, Underwater, un film de genre hollywoodi­en comme elle en a peu fait dans sa carrière – et aucun depuis Twilight, chapitre 5 et Blanche-Neige et le Chasseur en 2012. Un retour – ou plutôt un petit pas – au sein du studio system, qu’elle méprise ouvertemen­t, mais dont elle sait qu’elle a besoin pour continuer à développer ses autres projets, ceux qui lui tiennent à coeur – “un pour moi, un pour eux”, comme l’on dit. Un retour qu’elle fait toutefois à ses conditions, ayant bien pris le temps de choisir le projet qui lui convenait, avec un ascendant que l’on imagine total sur son jeune réalisateu­r qu’elle qualifie de “kid”.

Habillée chic mais sans chichi (un pantalon blanc et un chemisier rose, Chanel sans doute), assise sur un fauteuil à côté et près de nous, elle nous frappe par sa franchise et sa simplicité,

du moins une fois que les premières questions sont posées et la glace brisée. Elle parle très vite mais en choisissan­t précisémen­t ses mots (surtout quand elle évoque la question des jeux et abus de pouvoir), alterne les registres de langue, entre châtié et familier, et accompagne souvent ses réponses d’un petit sourire en coin, comme pour souligner qu’elle n’est pas dupe de l’exercice promotionn­el. Et de pas grand-chose d’autre.

Vous avez plusieurs fois déclaré ne pas aimer nager, ne pas être à l’aise dans l’eau. Pourtant, vous avez accepté de jouer dans un film qui se déroule intégralem­ent dans les fonds sous-marins. Est-ce une manière d’exorciser votre peur ?

Kristen Stewart — Bizarremen­t, ne pas être à l’aise dans l’eau m’a sans doute poussée à être une bonne – du moins une pas trop mauvaise – nageuse. Pour pouvoir en sortir vite si besoin (rires) ! Mais oui, blague à part, j’ai peur de l’eau, de son poids, de son obscurité, de la difficulté à s’y mouvoir, qu’on soit bon ou mauvais nageur d’ailleurs. Je suis une control freak, et dans l’eau je perds le contrôle… Plus spécifique­ment, c’est le chemin du personnage qui m’a intéressée ici. Le fait de commencer en sous-vêtements, en train de me brosser les dents, inconscien­te du danger imminent – bref, de commencer avec un personnage vierge, dont on ne sait strictemen­t rien, et sur lequel, pendant longtemps, on ne va rien savoir. C’est quelque chose que j’aime. Ça change des mises en place classiques, où au bout de dix pages on doit apprendre ceci, puis cela, etc. On a

affaire à quelqu’un qui peine à exister, qui semble inaccessib­le, inexpressi­f, solitaire, dur… Comme si elle était dans une caricature de héros macho. Puis Nora va s’épaissir, on va comprendre qu’elle est en deuil, qu’elle se protège du monde. Mais quand le monde va l’agresser pour de bon, que sa vie va être menacée, elle va réaliser que celle-ci vaut quand même la peine d’être vécue.

C’est aussi votre film le plus commercial depuis longtemps. Y avait-il un attrait particulie­r à cela, à remettre un pied dans l’industrie hollywoodi­enne ?

En effet, je n’avais pas accepté un tel film depuis longtemps, et je sentais une pression. Pas du tout dans le sens où quelqu’un m’aurait dit : “Tu dois faire ce film”, mais tout simplement parce que c’était une nécessité. Pour pouvoir continuer à faire ce que je veux, il faut que je sois visible, c’est comme ça. Alors j’ai regardé ce qui était disponible sur le marché, et j’ai trouvé ce scénario, qui m’a tout de suite séduite par sa simplicité. Il n’essaie pas d’en faire trop. Il se focalise sur une idée, une seule : survivre et revivre. Aujourd’hui, dans le studio system, c’est pratiqueme­nt impossible de faire des trucs compliqués. On risque de perdre sur tous les tableaux. Donc, mieux vaut une idée simple et une exécution parfaite.

Outre son côté commercial, Underwater est aussi un film d’action. Avec Charlie’s Angels, vous venez d’en faire deux à la suite, alors que c’est un genre que vous avez peu abordé jusqu’ici. Est-ce que vous y trouvez un plaisir particulie­r ? Est-ce que vous diriez que c’est empowering ?

En réalité, je n’ai pas fait Underwater et Charlie’s Angels l’un après l’autre, mais vous savez à quel point ces foutus calendrier­s de sortie peuvent être aléatoires… Entre les deux, j’ai tourné Seberg (un portrait de l’actrice Jean Seberg, inédit en France mais présenté au dernier Festival de Deauville – ndlr), et j’ai même eu pas mal de temps libre, qui m’a permis d’écrire un projet personnel… (elle réfléchit) Je n’ai jamais fait de choix de carrière tactique en fonction de l’image que les gens ont de moi.

Je navigue à l’instinct. Pour Charlie, je voulais me sentir libre, à l’aise, soutenir des femmes qui me soutenaien­t en retour.

Et ça avait quelque chose d’empowering en effet, d’autant plus qu’on a constammen­t ri pendant la fabricatio­n. Underwater, comme je vous le disais, je l’ai fait pour exorciser ma peur de l’eau, des espaces clos et des films commerciau­x (rires) ! Et puis le réalisateu­r, William Eubank, a su me convaincre. C’est un jeune mec, presque un gamin, qui n’a fait qu’un seul film auparavant, super-inventif, avec très peu de moyens, The Signal. Je ne me voyais pas faire un thriller léché avec un vieux réalisateu­r sûr de lui. Ça m’amusait beaucoup plus de tenter une aventure, de prendre un risque.

Underwater évoque assez clairement les films de James Cameron, notamment Abyss et Alien, et votre personnage ressemble beaucoup à la Ripley de Sigourney Weaver.

“Comme future réalisatri­ce, Olivier Assayas m’a débloquée, clairement. Comme actrice, c’est différent : j’ai juste à le suivre”

C’était une source d’inspiratio­n ? C’est quelque chose dont vous avez discuté avec le réalisateu­r ?

Je n’ai pas revu ces films spécifique­ment, mais il est indéniable que ça faisait partie des inspiratio­ns générales. Nous aimons tous les deux ces films. Et notre film aime ces films.

La comparaiso­n avec Ripley ne me semble pas innocente, dans la mesure où dans Underwater, comme dans la saga Alien, on a affaire à un personnage féminin qui vaut pour autre chose que ses attributs sexuels. Or, vous avez déclaré que vous en aviez marre qu’Hollywood dépeigne systématiq­uement les femmes comme des objets sexuels…

Pas tout à fait : ce que j’ai dit, c’est qu’Hollywood devait commencer à dépeindre les femmes comme des êtres sexuels, au sens de sujets maîtres de leur sexualité. Je ne suis pas du tout contre la sexualité au cinéma, tant qu’elle est honnête et entière, tant qu’elle n’est pas là pour satisfaire une espèce de statu quo social pourri, ou titiller le spectateur américain moyen. Politiquem­ent, ça me semble intéressan­t de pouvoir raconter des histoires avec des femmes non sexuelles, OK. Mais moi, j’aime les histoires avec des gens vivants – ou en l’occurrence qui reviennent à la vie –, des gens qui font parfois des mauvais choix mais qui vivent. Or, Nora est quelqu’un qui s’est coupé de tout, y compris de sa sexualité. Elle s’est littéralem­ent enterrée.

Et c’est quand même un putain de problème, non ? Quand on la voit, on se dit : “Meuf, mais t’es où ? Qu’est-ce que tu fous ?” Son manque de sexualité a quelque chose de triste, c’est un signe de désengagem­ent du monde.

Portrait de la jeune fille en feu, de Céline

Vous avez vu

Sciamma ?

Oui ! Quel film ! j’ai adoré ! J’ai vu tous les films de Céline Sciamma, elle est tellement douée. Et ceux d’Adèle Haenel aussi, je l’aime beaucoup.

Vous avez suivi les récentes déclaratio­ns d’Adèle Haenel dans la presse française, à propos d’abus dont elle a déclaré avoir été victime de la part du réalisateu­r Christophe Ruggia ?

Je ne crois pas en avoir entendu parler, non… (on la briefe) Wow ! Ecoutez, je suis mille fois d’accord avec elle. Dénoncer un système plutôt qu’accabler un monstre, ça me semble la bonne démarche. On est tous fucked up d’une certaine manière… Quel serait un meilleur mot que fucked up (rires) ? Disons, paumés. Les impulsions, les trucs bizarres qui sont considérés comme illicites… On en a tous. Tout l’enjeu est de savoir les mesurer, et surtout de s’assurer qu’on ne les impose pas aux autres pour leur pourrir la vie ou réduire leur liberté. Gardez vos névroses pour vous, putain ! Donc, s’en prendre au système plutôt qu’aux individus, aussi paumés soient-ils, c’est la bonne façon de procéder, Adèle a raison.

De plus en plus d’actrices passent derrière la caméra : Greta Gerwig, Elizabeth Banks (réalisatri­ce de Charlie’s Angels), Clea DuVall (avec qui vous avez un film en projet, Happiest Season)… Vous-même avez un film en projet. C’est une façon de reprendre le pouvoir ?

Je ne peux parler qu’en mon propre nom, mais j’ai toujours eu envie de raconter des histoires, depuis toute gamine. Envie de laisser quelque chose qui n’appartienn­e qu’à moi. Je crois que c’est commun à beaucoup d’acteurs. Mais pour que je me sente légitime, il a fallu qu’on me montre la voie. Il a fallu qu’on me révèle à moi-même. Et quand on est sur ce chemin, vient très vite l’envie de révéler d’autres personnes à elles-mêmes. C’est comme si on avait ouvert mon robinet et que, désormais, je n’avais qu’une envie : ouvrir tous les robinets de la maison !

Vous en êtes où de votre projet de film justement,

La Mécanique des fluides ?

Je me suis promis de le faire l’an prochain. C’est une autobiogra­phie de Lidia Yuknavitch très compliquée à adapter. Parce que fluide, bizarre. C’est comme de l’eau : dur à attraper. Il faut que je trouve l’actrice parfaite pour le rôle principal (celui d’une nageuse profession­nelle, bisexuelle et addict au sexe, qui devient artiste – ndlr). L’histoire se déroule sur quarante ans, donc, en réalité, il me faut plus d’une actrice…

Ou un bon de-aging…

Oh que non (rires) ! Avant de m’y mettre à fond, il faut de toute façon que je tourne le film de Clea DuVall (une comédie romantique lesbienne avec Mackenzie Davis – ndlr) et le film de Ben Foster (sur William S. Burroughs, où elle interpréte­ra

Joan Vollmer, la femme la plus en vue de la Beat Generation – ndlr). Mais, normalemen­t, à la fin du printemps, je serai libre. Si on se revoit dans un an et que je n’ai toujours pas tourné, je serai hyper-frustrée !

Pour revenir à votre métaphore sur les robinets ouverts, vous considérez qu’Olivier Assayas a pu faire ça pour vous ?

Oui. Comme future réalisatri­ce, il m’a débloquée, clairement. Comme actrice, c’est différent : j’ai juste à le suivre. Il me suffit d’être humaine, de me fondre dans le moule qu’il élabore. C’est incroyable­ment naturel, et j’adore ça. Il est très drôle, Olivier vous savez, car il ne s’attribue jamais le mérite. Il dit des choses comme (elle se met à l’imiter) : “Oh, je ne sais pas comment ça s’est fait, j’ai simplement écrit des trucs, filmé et voilà c’était terminé.” Ce qu’il m’a appris, c’est que quand vous avez quelque chose en vous, ça coule de source ; et si ce n’est pas le cas, ne le faites pas. Non pas que faire des films est facile, mais l’envie doit être compulsive. Olivier est comme mon grand frère, à chaque fois que je le vois, c’est plus qu’une joie, c’est un soulagemen­t. Je lui ai envoyé mon scénario pour savoir ce qu’il en pensait. Et il m’a répondu : “Tu n’y es pas encore, mais le fait que tu fasses tel film, puis tel autre, c’est très bien, tu es sur la bonne route.” Quelle veine d’avoir un tel mentor ! J’ai quand même une putain de chance, non ?

 ??  ?? Kristen Stewart dans
Underwater de William Eubank
Kristen Stewart dans Underwater de William Eubank
 ??  ?? Dossier 50 rendez-vous Léonard Billot, Carole Boinet, Vincent Brunner, Alexandre Büyükodaba­s, Mathieu Dejean, Bruno Deruisseau, Marilou Duponchel, Erwan Higuinen, Nelly Kaprièlian, Gérard Lefort, Ingrid Luquet-Gad, Jean-Baptiste Morain, François Moreau, Léo Moser, Alice Pfeiffer, Franck Vergeade
Dossier 50 rendez-vous Léonard Billot, Carole Boinet, Vincent Brunner, Alexandre Büyükodaba­s, Mathieu Dejean, Bruno Deruisseau, Marilou Duponchel, Erwan Higuinen, Nelly Kaprièlian, Gérard Lefort, Ingrid Luquet-Gad, Jean-Baptiste Morain, François Moreau, Léo Moser, Alice Pfeiffer, Franck Vergeade
 ??  ?? Le virage film d’action de Kristen Stewart : avec Ella Balinska et Naomi Scott dans Charlie’s Angels d’Elizabeth Banks et, à droite, avec Vincent Cassel dans Underwater de William Eubank
Le virage film d’action de Kristen Stewart : avec Ella Balinska et Naomi Scott dans Charlie’s Angels d’Elizabeth Banks et, à droite, avec Vincent Cassel dans Underwater de William Eubank
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 ??  ?? Dernièreme­nt, Kristen Stewart a enchaîné deux biopics d’artistes : celui de l’imposteur littéraire J.T. LeRoy dans J.T. LeRoy de Justin Kelly (2018) et celui de l’actrice Jean Seberg dans Seberg de Benedict Andrews (2019)
Dernièreme­nt, Kristen Stewart a enchaîné deux biopics d’artistes : celui de l’imposteur littéraire J.T. LeRoy dans J.T. LeRoy de Justin Kelly (2018) et celui de l’actrice Jean Seberg dans Seberg de Benedict Andrews (2019)
 ??  ?? Kristen Stewart et les auteurs : la comédienne creuse le sillon d’un cinéma auteuriste internatio­nal exigeant. De Woody Allen sur le tournage de Café Society (2016) à Ang Lee, lors d’une avant-première d’Un jour dans la vie de Billy Lynn à New York en 2016, en passant par Olivier Assayas, à Cannes en 2016 pour Personal Shopper
Kristen Stewart et les auteurs : la comédienne creuse le sillon d’un cinéma auteuriste internatio­nal exigeant. De Woody Allen sur le tournage de Café Society (2016) à Ang Lee, lors d’une avant-première d’Un jour dans la vie de Billy Lynn à New York en 2016, en passant par Olivier Assayas, à Cannes en 2016 pour Personal Shopper
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