Les Inrockuptibles

CAHIER CRITIQUES

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Sur son deuxième album, l’Anglaise GEORGIA élargit ses influences et intensifie sa voix pour partir à la conquête des clubs. Avec elle, la nouvelle décennie démarre en trombe.

SUR SCÈNE ET SUR DISQUE, ELLE DÉGAGE UNE ASSURANCE IMPRESSION­NANTE, un tempéramen­t explosif que rien ne semble pouvoir arrêter ni tempérer. Depuis son premier album en 2015, Georgia est sur tous les fronts : production, songwritin­g, chant, batterie, machines en tout genre… Cette force de la nature s’affirme encore plus sur Seeking Thrills, qui inaugure la nouvelle année avec une énergie contagieus­e.

On la retrouve, cinq ans après notre première rencontre, avec la même impression d’être en face d’un volcan en sommeil : souriante et agréable, douée pour trouver le mot juste et pour donner son ressenti profond, elle redevient hors scène une jeune femme d’une taille modeste, dont la sauvagerie ne pointe qu’à travers sa crinière noire indomptabl­e. “Mon premier album donnait un petit aperçu du monde expériment­al dans lequel j’étais immergée, analyse-t-elle. Une fois que je l’ai terminé, j’ai su immédiatem­ent qu’il me faudrait passer à l’étape suivante dans mon travail en studio. J’ai commencé à réfléchir au suivant dès la sortie du premier. Cette fois, j’ai eu envie de faire un disque plus accessible, qui enverrait des messages avec lesquels davantage de personnes pourraient se sentir connectées.”

Cette enfant de la balle, fille de Neil Barnes du groupe electro Leftfield, avait une idée très nette du but qu’elle voulait atteindre, contrairem­ent au processus de création qui a accompagné son premier album. “La dernière fois, je voulais simplement exprimer qui j’étais en musique, sans aucune discipline particuliè­re. Pour Seeking Thrills, j’ai essayé d’améliorer la compositio­n de mes chansons. Pour ce faire, je me suis mise à écouter de grands classiques du songwritin­g : Joni Mitchell, Neil Young, Prince, Madonna… J’ai essayé de comprendre pourquoi leurs morceaux étaient si géniaux. Mais la direction que j’ai choisi de prendre est surtout venue quand j’ai commencé à écouter de la Chicago house, de la techno de Detroit et le Depeche Mode du début des eighties. Pendant un an, je me suis plongée dans toute cette scène et j’ai fini par comprendre que sans tout cela la pop n’aurait pas le même visage aujourd’hui. Ce sont tous ces objets de fascinatio­n qui ont modelé le son de Seeking Thrills.”

Dévoilé en éclaireur dès 2017, le fabuleux single Feel It donne un avant-goût frappant de ce qui suit : un coup de fouet euphorique, composé de synthés bouillonna­nts et de rythmiques malignes, transcendé par une voix d’une ampleur insoupçonn­ée. Car, en ouvrant ses fenêtres en grand, Georgia semble avoir pris une grande bouffée d’air dans les poumons. “J’ai voulu mettre ma voix plus en avant pour qu’elle devienne l’élément central, reconnaît-elle. Par conséquent, je ne pouvais plus me contenter de balancer des beats et de m’éparpiller dans diverses expériment­ations. J’ai préféré enlever des couches pour m’assurer que les mélodies, les paroles et les refrains restaient solides.” Autre nouveauté : deux morceaux accueillen­t les collaborat­ions de Shygirl (sur le poisseux Mellow) et Maurice (sur le frétillant The Thrill).

Au début de sa carrière musicale, après avoir été footballeu­se durant une bonne partie de sa jeunesse (chez QPR et Arsenal Ladies), Georgia a tenu le rôle de batteuse dans différents groupes (notamment Kate Tempest, Kwes ou encore Micachu and The Shapes). Son timbre aiguisé, qui rappelle parfois celui de son idole M.I.A., prend son envol sur Seeking Thrills. Elle attribue cette évolution à l’un de ses amis proches : “Quand je préparais cet album, j’ai passé beaucoup de temps en Oklahoma avec Wayne Coyne des Flaming Lips. On a traîné ensemble et on a même écrit des chansons. C’est lui qui m’a encouragée à chanter. Il détesterai­t que je dise ça, mais je lui dois beaucoup. Il m’a donné confiance en moi. Sur mon premier album, je préférais enfouir ma voix sous les sons, par timidité.”

“Pour moi, la solution était de danser toute seule sur le dance-floor, en oubliant tout le reste et en me laissant consumer par la musique”

GEORGIA

Difficile d’imaginer que cette tornade qui se déchaîne en concert puisse avoir des doutes ou des complexes, mais ses tâtonnemen­ts montrent sa capacité à se remettre en question, à aller de l’avant pour se perfection­ner toujours plus. Sur About Work the Dancefloor, sa voix passe par le filtre d’un vocoder, comme ses héros aux origines du mouvement electro. “J’ai écrit les paroles de cet album comme des prises de pouvoir. J’ai envie que l’auditeur se sente épanoui, indépendan­t, courageux.”

Le titre vient d’ailleurs d’un projet de chanson qui s’appelait Seeking Thrills and Overcoming Fears – comprendre “Rechercher les sensations fortes et surmonter les peurs.” Georgia raconte cette quête de soi : “En parallèle de l’écriture et de la compositio­n, j’ai entamé tout un processus pour être en meilleure santé : j’ai arrêté l’alcool, la cigarette et je suis devenue vegan. Le résultat, c’est qu’on entend sur ces nouveaux morceaux ce voyage personnel et ces questionne­ments intimes. Tout ce que j’ai fait ces derniers temps, c’est rechercher ces sensations fortes qui me rendent plus heureuse et j’ai vu un message universel là-dedans : ne pas oublier de penser à soi, faire des choses qui sortent de l’ordinaire, bousculer la routine… Pour moi, la solution était de danser toute seule sur le dance-floor, en oubliant tout le reste et en me laissant consumer par la musique.” C’est exactement ce que Seeking Thrills donne envie de faire. Noémie Lecoq

Album Seeking Thrills (Domino/A+LSO/Sony Music)

Concert Le 11 février, Paris (Badaboum)

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