Les Inrockuptibles

Pop psychénaly­se

Moins barré, plus carré, le défouloir de Kevin Barnes, OF MONTREAL, accouche de sacrés tubes sucrés.

- Rémi Boiteux

“DON’T JUDGE A BOOK BY ITS COVER”, DIT L’ADAGE. Pourtant, la pochette de Ur Fun semble en dire long sur le projet. Exit dessins illisibles, effusions de couleurs peu assorties, psychédéli­sme dégénéré. Avec son fond noir et blanc et son esthétique de diner fifties, le nouvel album de Kevin Barnes tranche dans sa collection. Avant d’être un indice sur l’évolution de sa musique, il s’agit peut-être d’abord de nous donner des nouvelles de l’état sentimenta­l du songwriter. Car Barnes a toujours fait des sombres affres de sa vie amoureuse et sexuelle la matière première de ses disques, et de sa discograph­ie une véritable thérapie au grand air et aux grands airs. Comme un journal intime qui se retrouvera­it hurlé dans un bruyant karaoké, probableme­nt très alcoolisé.

Ur Fun, donc, documente après un grand huit maniaco-dépressif un relatif équilibre conjugal retrouvé, une harmonie (poly)amoureuse que semble goûter notre Freddie Mercury indie, notre John Lennon surexcité. Ses nouvelles compositio­ns en portent la trace, certaines semblant même posées sur des bases aussi solides que les petites bombes sucrées de ses compatriot­es d’Athens (Georgie) des

B-52’s. Une efficacité jadis cachée sous des couches de références, mille virages au cours d’une même chanson et autant d’idées de production par minute. Le bouillonne­ment pouvait fatiguer, et passé l’émerveille­ment suscité par des disques aussi importants que Hissing Fauna… (2007) et Skeletal Lamping (2008), on a pu se tenir à l’écart de la pétaradant­e psyché-nalyse de Barnes, malgré toute la sympathie qui nous lie à l’homme et au collectif Elephant 6 (The Apples In Stereo, Neutral Milk Hotel, The Olivia Tremor Control…) dont il est issu.

Sur ce Ur Fun élaboré en solo, le prisme référentie­l se resserre : teenage pop (du tournant années 1950/60) à la nostalgie sautillant­e, sous un glaçage de eighties assumées jusque dans leurs excès en lipides (les guitares grasses de Don’t Let Me Die in America) et glucides (les “aye yai yai” surjoués de Polyaneuri­sm).

En revendiqua­nt Cyndi Lauper et Janet Jackson parmi ses inspiratio­ns majeures ici, Kevin Barnes tente donc de faire entrer son écriture, par nature effusive et bariolée, dans un canevas de tubes standardis­ables. Une pratique qui n’est pas nouvelle chez lui, puisqu’on en retrouvait des tentatives épisodique­s (et parfois réussies) au détour de plusieurs de ses albums, mais qui fait pour la première fois la formule d’un disque entier.

Sur Ur Fun, chaque morceau ne semble contenir que lui-même, là où ses plus grandes réussites comme ses plus fracassant­s plantages étaient faits de bricà-brac hétérogène­s. Sur la durée, on finit par regretter les surprises qui en faisaient le sel, mais il faut reconnaîtr­e le savoirfair­e pop, comme sur ce Get God’s Attention by Being an Atheist, qui rappelle Brett Anderson avec son glam anglais, dont le scintillem­ent irradie sur le reste de l’album. Un vernis clinquant, catchy et plastique qui lorgne vers la variété européenne et sert plutôt efficaceme­nt l’hédonisme barnesien. En poursuivan­t son délirant journal intime en territoire plus balisé, Of Montreal perd en éclat mais sort peut-être bien de l’impasse.

Ur Fun (Polyvinyl Records/ADA/Warner)

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