Les Inrockuptibles

Cours Sarah, cours !

Dans ce portrait d’une adolescent­e en rupture avec sa famille, Fanny Chiarello met en scène avec réussite des processus d’émancipati­on.

- Sylvie Tanette

C’EST L’HISTOIRE D’UNE RENCONTRE. LA ROMANCIÈRE FANNY CHIARELLO revient séjourner dans la ville du nord de la France où elle a grandi, afin d’y préparer une exposition de photos et de textes

“sur la langueur de l’été dans le bassin minier”. Au hasard de ses déambulati­ons, elle croise un jour une adolescent­e, se met à imaginer sa vie et lui écrit une longue lettre fictive. Cette ado, c’est Sarah. Et Sarah court. Dès qu’elle a un moment, elle enfile un jogging, rejoint le stade et court sans s’arrêter.

L’image est magnifique, et sous la plume de Chiarello on comprendra d’où vient ce besoin de courir, de fuir, de s’échapper, à un âge qui est celui des bouleverse­ments. Sarah aime les filles et commence à en prendre conscience. Son orientatio­n sexuelle, que sa mère devine, n’est pas acceptée par les siens.

La jeune fille est née dans une famille d’origine immigrée et l’autrice de

La vie effaçant toutes choses sait très bien portraitur­er cette petite classe moyenne sans la stigmatise­r. Cela dit, la romancière ne se contente pas de mettre en scène le quotidien d’une ado en conflit, elle va elle-même être transformé­e pour avoir croisé un jour Sarah. Cette vie qu’elle

imagine la renvoie, on s’en doute, à la façon dont s’est déroulée la sienne dans ces mêmes lieux. Mais Chiarello dissémine très peu d’indices autobiogra­phiques dans son texte et ne saisit pas l’occasion pour s’étendre sur sa propre adolescenc­e. Elle préfère avec pudeur créer un jeu de miroirs subtil entre elle et ce concentré d’énergie pure qu’est Sarah, sans trop en dire.

Plus qu’un retour en arrière, envisager une adolescent­e qui va devoir franchir tous les obstacles pour s’affirmer lui donne surtout le courage de prendre en main sa propre vie : “Tu m’accompagne­s, tu me tires en avant quand je vacille. (…) Au fil de ces quelques mois, j’ai purgé mon existence de la matière excédentai­re qui m’étouffait, congédié un tiers de mon entourage, renoncé à quelques idées qui m’avaient importé.

Je l’ai fait sans peur du vide, le plus souvent avec une joie profonde, parce que tu étais là.”

Le Sel de tes yeux (Editions de l’Olivier), 176 p., 17 €

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