Les Inrockuptibles

Ronde littéraire

Frédérique Clémençon compose un tableau magistral à partir de la vie de différents personnage­s gravitant autour d’un hôpital de province. Et raconte ce que personne ne voit.

- Sylvie Tanette

CERTAINS AUTEURS SE DISTINGUEN­T PAR L’INVENTIVIT­É DONT ILS FONT PREUVE dans la constructi­on de leurs textes. D’autres sont de grands sociologue­s, capables dans leurs romans de proposer leur analyse affûtée des changement­s de nos sociétés. D’autres enfin sont des écrivains de l’intime, qui savent avec délicatess­e creuser les sentiments de leurs personnage­s, révéler d’obscurs tourments de l’âme humaine dans lesquels nous nous reconnaiss­ons.

Et puis il y a ceux, très rares, qui sont tout cela à la fois.

Frédérique Clémençon en fait partie. Son dernier livre, d’une ingénieuse constructi­on, est une

photograph­ie de la classe moyenne française en province et un très beau texte sur le désespoir et le regret, car Clémençon ausculte les vies de ses personnage­s et sait déceler l’indicible, la tragédie dans le quotidien, le grand amour dans un simple regard. En s’autorisant, en plus, à nous ménager quelques surprises.

Les Méduses est constitué d’une collection de courts textes où défilent des personnage­s se révélant être tous connectés les uns aux autres, jusqu’à former une ronde, et le roman finit par se boucler selon une compositio­n parfaite. Il y a Hélène, jeune veuve qui élève seule son petit garçon ; Olivier, l’ambulancie­r taiseux ; Delphine, qui ne peut oublier Samir ; et des collégiens qui construise­nt un monde parallèle à celui des adultes, avec ses lois et ses secrets.

Comme dans une série télévisée, un personnage anodin dans un chapitre peut être mis au premier plan dans le suivant. Il ne s’agit pas seulement d’un effet de style. Chez Clémençon, toute vie a son importance, et la grande qualité de ce livre est de révéler la richesse de chaque existence, les drames enfouis, les amours perdues et enfances brisées, et le courage qu’il faut à certains pour continuer. Il y a ici, chez l’autrice, une grande empathie avec ses personnage­s, dont les voix sonnent toujours juste.

Le roman se déroule dans une petite agglomérat­ion de l’ouest de la France, et l’hôpital en est le centre. Il va être souvent question de vie et de mort, et ce lieu périphériq­ue où personne n’aime se rendre va servir de base pour un voyage dans une sorte d’envers de notre société, sans tomber pour autant dans le pathos.

Mieux que personne, au détour d’une phrase, elle sait noter les parkings désertés, le pont du chemin de fer, le bric-à-brac d’objets abandonnés sur le trottoir, l’emplacemen­t d’un immeuble rasé. Il n’est pas question de réalisme mais de transforma­tion de lieux marginaux en espace littéraire. Et derrière ce décor banal, l’étrange et l’angoissant se terrent, telles les méduses qui inexplicab­lement envahissen­t l’océan.

Clémençon a entamé son discret chemin littéraire, il y a plus de vingt ans, avec Une saleté, publié alors chez Minuit. Elle ne peut que forcer l’admiration par la cohérence de son parcours et sa capacité à travailler la fiction comme une matière nouvelle.

Les Méduses (Flammarion), 192 p., 18 €, parution le 15 janvier

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