Les Inrockuptibles

Fin de série

L’angoisse de la page blanche inspire à Manu Larcenet et Daniel Blancou des autofictio­ns aussi vachardes que réjouissan­tes.

- V. B.

IL Y A QUELQUES ANNÉES, MANU LARCENET RÉVÉLAIT QU’IL ÉTAIT BIPOLAIRE, d’où, chez lui, la constante succession d’euphorie et d’idées très noires. Sans doute pour exorciser certains de ses démons, il a eu envie de jouer avec son image d’artiste dépressif. Dans le premier album de Thérapie de groupe, L’étoile qui danse, autofictio­n vacharde, il ne prend pas de gants avec lui-même, se dépeignant en dessinateu­r lourd et incapable de se renouveler, s’attribuant le record des tentatives de suicide ratées, dansant nu autour de planches qu’il vient de brûler.

Cette entreprise d’autodérisi­on forcenée, il la réalise tel un funambule. Il sabote les gags qui viennent à l’esprit de son double de papier, appuie là où ça fait mal mais reste à bonne distance du gouffre. On n’a jamais – heureuseme­nt – l’impression d’assister à une séance d’autoflagel­lation trop évidente. Au contraire, convoquant pour rire Nietzsche, Vinci ou Cézanne, Larcenet jongle avec un humour qui, même ambigu, parvient à l’emporter et à provoquer des fous rires nerveux. Inspiré par le sujet, son trait retrouve aussi de la vigueur et de la fantaisie – l’adoption récente de la tablette graphique l’a semble-t-il libéré.

Dans Un auteur de BD en trop, Daniel Blancou pratique aussi l’autofictio­n féroce, sans toutefois aller aussi loin dans le sadomasoch­isme. Cependant, il brouille autant les lignes, mêlant vérités et inventions.

Ici, il se montre dans le rôle peu reluisant du dessinateu­r qui a connu son heure de gloire à 17 ans en récoltant un prix scolaire au Festival d’Angoulême – ça lui est arrivé pour de vrai en 1995 – et qui s’ingénie à produire des albums pointus et, a priori, confidenti­els. Son dernier projet, refusé, concernait “les difficulté­s du commerce de chenilles alimentair­es en Centrafriq­ue”.

Promise à la déchéance et aux commandes peu glorieuses, la carrière profession­nelle de son alter ego décolle lorsqu’il s’approprie le travail du fils de sa pharmacien­ne. Si le canevas – celui de l’imposture littéraire – a un goût de déjà lu, Blancou lui redonne des couleurs avec son humour léger et bien dosé. Il propose aussi une immersion ironique – à ne pas prendre au premier degré – dans le monde profession­nel de la BD. “Toute ressemblan­ce avec des personnes existantes ou ayant existé n’est pas fortuite, assez malhonnête et purement amicale”, précise-t-il en préambule.

Thérapie de groupe – L’étoile qui danse de Manu Larcenet (Dargaud), 56 p., 14,99 € Un auteur de BD en trop de Daniel Blancou (Sarbacane), 60 p., 22,50 €

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Thérapie de groupe de Manu Larcenet
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