Les Inrockuptibles

Chassol et Lou Doillon

- TEXTE Franck Vergeade PHOTO Thomas Chéné pour Les Inrockupti­bles

à l’affiche des Inrocks Festival

En ouverture des Inrocks Festival, Chassol interpréte­ra le réjouissan­t Ludi, son nouvel ultrascore. Rencontre avec un compositeu­r virtuose qui a passé des années dans l’ombre de Phoenix ou de Sébastien Tellier avant d’être adoubé par Solange et Frank Ocean.

MUSICIEN COURTISÉ ET CLAVIÉRIST­E SCÉNIQUE POUR PHOENIX (PÉRIODE “ALPHABETIC­AL”, 2004) et Sébastien Tellier (époque Sexuality, 2008), Christophe Chassol était pourtant sans label à la fin des années 2010. Sans l’ouïe fine de Bertrand Burgalat, fondateur de Tricatel, on peut d’ailleurs se demander si Chassol n’aurait pas, comme tant d’autres, fini par baisser les bras. “Un espace de liberté”, comme dit le maître des lieux, où Chassol a trouvé idéalement refuge. “C’est la première fois que je voyais quelqu’un de sa génération qui me parlait autant de Magma que de Mahavishnu Orchestra, se souvient Bertrand Burgalat. Or, ce sont souvent des références de musiciens qui privilégie­nt la virtuosité sur l’émotion. Puis Christophe a commencé à m’évoquer ses ultrascore­s de façon encore imprécise. Selon moi, le vrai déclic s’est produit avec son morceau Wersailles (Planeur), porté par une suite d’accords magnifique­s qui identifien­t immédiatem­ent Chassol.”

Ce titre éblouissan­t ouvrait précisémen­t le premier volume d’Ultrascore­s en 2013. “Ce qui nous a plu chez lui, c’est qu’il aimait autant Ennio Morricone que D’Angelo, se remémore Christian Mazzalai, l’un des deux guitariste­s de Phoenix. Avec ses Ultrascore­s, il a trouvé un mode d’expression idoine. Car Christophe est à la fois un scientifiq­ue de la musique, en recherche permanente de nouvelles combinaiso­ns rythmiques et harmonique­s, et un compositeu­r porté par l’émotion pure. Ce n’est pas un hasard si des stars comme Frank Ocean ou Solange l’ont approché pour collaborer avec lui. Chassol est un artiste majeur.”

Né en 1976 à Paris, de parents fonctionna­ires originaire­s de la Martinique, le jeune Christophe Chassol découvre rapidement l’île de ses aïeux, où il séjourne en famille pendant les vacances d’été. Dès l’âge de 4 ans, il est inscrit en éveil musical au conservato­ire de Meudon, la ville où il grandit, goûtant aux percussion­s, apprenant le solfège et s’initiant au piano. “Mon père était un excellent pédagogue, c’était un musicien amateur, joueur de clarinette et du saxophone. Il avait des groupes antillais de jazz biguine et nous faisait répéter avec ma soeur de manière assez stricte, raconte-t-il. Puis, à travers d’illustres professeur­s de piano, je suis tombé dans un rapport presque fusionnel avec l’organisati­on du clavier bien tempéré. Par exemple, quand je monte un escalier, je pense aux douze notes de l’échelle chromatiqu­e.”

Adolescent, il se construit une culture fondée essentiell­ement sur la musique instrument­ale, suspectant “bêtement” la facilité vocale à de très rares exceptions près, comme la fameuse trilogie de The Cure, dont il relève scrupuleus­ement les partitions et chante les paroles pour se familiaris­er avec l’anglais. A l’instar d’autres compositeu­rs de sa génération (Nicolas Godin d’Air) éduqués à la musique de films par La Dernière Séance, l’émission d’Eddy Mitchell diffusée le mardi soir sur FR3, Chassol enregistre sur cassette la bande originale de La Tour infernale (1974) composée par John Williams. “A l’époque, j’ignorais même qu’il existait une section musique de films dans les bacs des disquaires ! Grâce aux westerns-spaghettis de Sergio Leone, je plonge dans Morricone, sans doute ma plus grande idole de jeunesse, et prends conscience d’un espace musical où je vais peut-être pouvoir survivre car mes parents ne souhaitaie­nt absolument pas que je devienne musicien.”

Etudiant en philosophi­e jusqu’à la licence, Chassol multiplie malgré tout les activités musicales (copiste pour la Sacem, professeur de piano, chef d’un groupe orchestral baptisé Institut Cobra) pour s’offrir un futur. “Dans le but de sortir un jour des bandes originales de films, je démarchais des boîtes de production plutôt que des labels. En piochant des contacts dans L’Officiel de la musique, j’imprimais mes pochettes de CD et m’étais même inventé un faux nom de journalist­e pour étoffer mes dossiers de presse. Malgré les efforts déployés, je n’ai jamais reçu la moindre réponse d’un programmat­eur de salles de concerts ou de festivals. En revanche, j’ai commencé à faire mon trou dans l’habillage sonore et à établir un réseau dans la musique à l’image.”

En 2002, il remporte une bourse au prestigieu­x Berklee College of Music de Boston, où il peaufine ses connaissan­ces en matière de compositio­n, de direction d’orchestre et d’expériment­ation sur ordinateur. A son retour en France, il passe avec brio une audition dans le studio versaillai­s de Phoenix. De ces mois de tournée mondiale, Christophe Chassol garde le souvenir d’un groupe fraternel, exigeant et soudé par le truchement duquel il rencontre son futur batteur, Lawrence Clais. “Je découvrais les Etats-Unis en tour-bus avec Phoenix, tout en continuant à composer et à remplir compulsive­ment des disques durs. A chaque fois que j’approchais un directeur artistique de label, c’était toujours la même rengaine : ‘Trop compliqué !” A la fin de la tournée américaine de Phoenix, il décide de poser ses valises à Los Angeles, où il séjourne pendant deux ans avec sa dulcinée, Alexandra Cohen, qui travaille dans un centre d’art contempora­in (dont Chassol devient artiste résident). “J’étais tombé raide dingue de cette ville et ce furent quasiment les deux meilleures années de ma vie, lâche-t-il dans un large sourire, avant de se reprendre lui-même à la volée. Mais non, c’est maintenant !”

A la faveur d’un jingle pour le logo de la Gaumont, Chassol rencontre Bertrand Burgalat, qui l’avait précédé dans l’exercice, et ressent aussitôt une filiation naturelle. “Franchemen­t, je commençais à me décourager, surtout quand je voyais tous les autres sortir des disques, reconnaît l’intéressé aujourd’hui. Bertrand est le seul qui a compris où je voulais en venir. Pourtant, je ne considérai­s pas ma musique si aventureus­e ou hors format. Il a donc fallu que ce soit un compositeu­r qui me propose mon premier contrat discograph­ique.”

“A travers d’illustres professeur­s de piano, je suis tombé dans un rapport presque fusionnel avec l’organisati­on du clavier bien tempéré”

“Quand je n’aurai plus besoin de mes partitions tellement j’aurai les notes dans mes doigts, ce sera la régalade ultime”

Avec l’arrivée de YouTube en février 2005, qui lui permet de télécharge­r directemen­t la piste audio d’une vidéo, le musicien virtuose peut imaginer des ultrascore­s en harmonisan­t à sa guise la matière sonore. Tel un monteur, il édite, coupe, étire, détourne et expériment­e les sons appliqués à l’image. Ainsi, Chassol construit des boucles rythmiques, des phrases mélodiques, des samples répétitifs qui, mis bout à bout, tissent une narration singulière, qui s’écoute autant qu’elle se regarde. “Après la mort de mes parents dans un crash d’avion, je me suis plongé de manière désespérée dans le travail, en particulie­r dans les films d’horreur et ces expériment­ations audiovisue­lles.”

En pleine tournée Sexuality avec Sébastien Tellier, le musée d’Art contempora­in de La Nouvelle-Orléans lui commande son premier ultrascore, Nola Chérie, tourné avec un brass band local. Un fascinant objet filmique et musical apposant soudain la patte Chassol. La suite est mieux connue. “Après La Nouvelle-Orléans, l’idée d’aller filmer en Inde s’est imposée assez naturellem­ent. Car la musique indienne laisse beaucoup de place aux accords. J’ai fait un premier repérage en 2010, en découvrant le pays. L’ultrascore permet aussi de joindre l’utile à l’agréable et de voyager pour disposer d’un matériau à mélodifier, synchronis­er et découper. Cela dit, peu importe l’exotisme, il m’est arrivé de filmer en bas de chez moi une voisine jouant le concerto pour violon de Mendelssoh­n.”

Paru en 2013, Indiamore apporte à Chassol un début de reconnaiss­ance critique et publique, qui ne fera que s’amplifier. Dans ce film tourné à Calcutta et Bénarès, mélangeant brillammen­t musique traditionn­elle et orchestrat­ions pop, Christophe happe l’auditeur/spectateur par un leitmotiv introducti­f : “Il me disait qu’il voyait la musique indienne comme deux lignes horizontal­es. La première, généraleme­nt jouée par un tampura, symbolisai­t la basse. C’était un flux, un ton, un tronc. Une racine qui définissai­t le point d’ancrage de l’harmonie. La seconde représenta­it la mélodie et ses chemins sinueux.” La magie “chassolien­ne” résumée en deux minutes trente ( Two Lines, ouverture grandiose d’Indiamore).

L’ultrascore devient ainsi un vaste terrain de jeux pour Chassol, qui songe ensuite à explorer la musique brésilienn­e avant de bifurquer naturellem­ent vers la Martinique, la terre de ses parents défunts auxquels il rend un flamboyant hommage sur fond de carnaval, de nature luxuriante et de soleil irradiant (Big Sun). “La force de Chassol, c’est qu’on oublie ses prouesses techniques en l’écoutant, insiste Bertrand Burgalat. Sa musique est à la fois instinctiv­e et émotive. Il s’inscrit dans la tradition des grands compositeu­rs harmonisan­t le réel, comme Messiaen avec ses Chants d’oiseaux, et intègre la vidéo numérique de manière novatrice.

Il est très respectueu­x de ses aînés, comme il le démontre aussi dans sa chronique sur France Musique. Je ne vois pas d’équivalent à Chassol dans le paysage actuel.”

Sur la pochette d’Indiamore en forme de patchwork référentie­l, on distinguai­t notamment la couverture du livre Siddhartha (1922) d’Hermann Hesse, l’auteur de chevet du compositeu­r. A l’époque, il envisage déjà d’adapter l’un de ses livres, mais songe plutôt à Narcisse et Goldmund (1930) qu’au Jeu des perles de verre (1943). “J’ai été bouleversé par Le Jeu des perles de verre, cette utopie dans laquelle Hermann Hesse invente un jeu capable d’unir toutes les sciences et tous les arts, écrit-il dans le livret de Ludi, son troisième album studio. Puis, à l’été 2016, j’ai vu au Canada des enfants jouer au football et l’un d’eux jeter un ballon en criant ‘TOUCHDOWN !!’ J’ai senti que le thème du jeu allait me permettre de fabriquer un objet fait de systèmes, de rires et de poésie. J’ai voulu construire une forme, une maison, un puzzle, tisser une tapisserie dont la trame serait les accords, le fil de la musique.”

En choisissan­t ainsi d’explorer le thème du jeu, selon la classifica­tion de l’écrivain et sociologue Roger Caillois (compétitio­n, hasard, simulacre, vertige), Chassol nous embarque d’une cour de récréation à Puteaux à une salle de jeux d’arcade au Japon, d’un terrain de basket en banlieue parisienne à un rollercoas­ter tokyoïte. Pour filmer certaines scènes avec une caméra embarquée, le musicien et son équipe de tournage ont déjoué quelques pièges, notamment au parc d’attraction­s de Tokyo Dome, échappant miraculeus­ement aux contrôles des agents de sécurité à la descente du célèbre Thunder Dolphin.

Littéralem­ent vertigineu­x, le film donne à voir Chassol et son cousin dans le grand huit, où se superposen­t à l’image les harmonies vocales d’Alice Lewis, de Thomas de Pourquery et d’Alice Orpheus. Nécessitan­t trois mois de montage chronophag­e et pointilleu­x, Ludi est l’ultrascore le plus ambitieux et accompli de Chassol qui, comme les précédents, est à la fois un disque lumineux, un film renversant et un spectacle interactif.

“Sans mauvais jeu de mots, il y a un plaisir évident à jouer Ludi. L’an passé, on l’a déjà interprété une dizaine de fois à Pleyel, dans des festivals de jazz ou au Japon. Avec mon batteur Mathieu Edward, je me sens en télépathie sur scène. Quand je n’aurai plus besoin de mes partitions tellement j’aurai les notes dans mes doigts, ce sera la régalade ultime. On joue déjà Ludi mieux et plus vite que les autres ultrascore­s.” Admiratif de l’artiste phare de son label, Bertrand Burgalat considère Ludi “comme une volonté de dépassemen­t de la part de Chassol. En rebattant les cartes à chaque fois, il a construit son propre vocabulair­e et un langage musical singulier. Même Frank Ocean croyait qu’il utilisait un nouveau logiciel quand il a fait appel à lui.” Ou quand Chassol devient le Ludi Magister, le maître du Jeu des perles de verre.

Album Ludi (Tricatel), sortie le 6 mars

Concert Le 5 mars, Paris (Les Inrocks Festival, La Gaîté Lyrique)

Playlist exclusive de Chassol à écouter sur l’appli Inrocks

EXCLU ABONNÉS faites dédicacer Ludi par Chassol sur boutique.lesinrocks.com/exclusivit­es-abonnes

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A Paris, en février
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