Les Inrockuptibles

"L'excitation pour moi, c'est l'aventure"

A quelques jours de monter sur la scène de la Gaîté Lyrique dans le cadre des Inrocks Festival et après une tournée qui l’a emmenée jusqu’en Amérique du Nord pour présenter Soliloquy, son troisième album, LOU DOILLON évoque avec nous son rapport à la scèn

- TEXTE François Moreau PHOTO Thomas Chéné pour Les Inrockupti­bles

Tu as commencé ta carrière de chanteuse en 2012, avec l’album Places. Mais avant de jouer ta musique en public, tu avais déjà une expérience de la scène.

Lou Doillon — J’ai commencé à faire de la scène avec des lectures, il y a une quinzaine d’années ( Lettres intimes, en 2007 – ndlr). Je lisais des lettres érotiques, le genre de truc qui m’éclatait ; j’avais quand même décidé de faire la couverture de Playboy pour la promotion d’un spectacle de lecture, ce que personne, évidemment, n’avait compris à l’époque ! Ça m’amusait d’appartenir à une génération de crétins de 25 ans qui, comme tous les crétins de 25 ans, se disait être la plus érotisée et la plus au fait de ce qu’est la sexualité. Si tu aimes bien lire comme moi, tu te rends compte qu’on est vraiment des petits joueurs. La littératur­e érotique, de Maupassant par exemple, c’est quelque chose. C’est hallucinan­t de voir à quel point on est bien moins costauds qu’un

Apollinair­e quand il avait envie de draguer une gonzesse. Ça volait sacrément haut. J’ai enchaîné avec des pièces de théâtre, dont une performanc­e sur du Beckett avec mon pote Arthur Nauzyciel ( L’Image, en 2008 – ndlr). Il s’agissait de réciter une phrase de Beckett écrite sur une vingtaine de pages, sans ponctuatio­n. Une phrase ! La performanc­e devait durer vingt minutes, avec moi à deux doigts de tomber dans les pommes. Là encore, personne n’a rien compris.

Tu as éprouvé le même genre d’excitation quand tu as commencé à jouer ta musique en public ?

Quand j’ai pu monter sur scène pour jouer de la musique, c’était génial. Ça réunissait le tout. Tu peux à la fois te concentrer sur toi, regarder ce qui se passe sur la scène et, en même temps, ce que j’avais adoré avec la performanc­e autour de Beckett et les lectures, regarder les gens. J’éprouve une excitation à regarder les gens, surtout ceux qui s’en foutent. Ça fait longtemps maintenant que tu fais des concerts, c’est devenu un métier à plein temps que tu dois concilier avec tes autres activités.

J’ai un des meilleurs métiers, parce que ce n’est pas encore totalement virtuel. Au fur et à mesure de mes albums, j’ai compris que le live me plaisait de plus en plus, qu’il y avait là-dedans une force implacable. C’est une activité encore totalement païenne, ancienne. On vient de tourner pendant un an, et c’est un show qui grandit. Effectivem­ent, j’ai un parcours un peu étrange et, à mon niveau, la tournée est devenue une grosse machine qui m’a fait revenir dans les clous : on écrit, on enregistre, on fait la promo et on sort un album que l’on va jouer sur scène. Je me suis retrouvée à faire le dernier disque ( Soliloquy, 2019 – ndlr) pour me mettre en danger, pour qu’il y ait quelque chose qui me foute la trouille. Que quelque chose se joue. Avec cette envie de rendre la pareille à tous les gens qui m’ont inspirée.

Qui sont ces gens qui t’ont inspirée ?

La première claque, c’était Catherine Ringer, et la deuxième, Nina Hagen. A partir de là, c’était parti. Il y a quelque chose pour moi d’important et de féminin, qui est de rendre à ses femmes, à ses gonzesses, la liberté qu’elles me faisaient sentir quand j’étais petite. C’est comme la gonzesse dans une boîte qui se lâche et se met à danser à quatre heures du mat’ sur une table. Le plus grand risque pour un·e artiste, c’est de chercher à plaire désespérém­ent d’une manière ou d’une autre. Si, d’un coup, en tant que personne, tu peux monter sur scène et te dire que tu es là pour expier le regard de l’autre, que tu es là pour, finalement, te mettre en danger, quitte à ce que tout se pète la gueule et ne pas y arriver, les gens vont se mettre à danser aussi. Si tu te mets à beugler, d’un coup tu ouvres la porte pour que tout le monde se libère.

Comment ça se passe avec tes musiciens sur scène ?

Je me suis entourée d’une équipe mortelle ! Avec Antoine Boistelle à la batterie, un vrai tueur. Il faut mettre des gueuses et des briques pour que l’instrument ne se mette pas à avancer pendant les concerts ! Il a un caractère génial. En face, comme dans un Boeing, j’ai deux guitariste­s lead. Avec eux, ça balance. On a Cédric Leroux d’un côté, qui me permet d’assumer mon côté glam rock, et, de l’autre côté, Louis-Marin Renaud, une espèce d’angelot, qui est plus dans The Band ou Led Zep. Sans oublier mon acolyte, Nicolas Subréchico­t au clavier. Ça donne un résultat que j’ai mis quelques mois à comprendre et à assumer complèteme­nt. C’est quelque chose qui s’est vraiment concrétisé lors de notre tournée en Amérique du Nord, en juin-juillet 2019.

Que s’est-il passé là-bas ? Un déclic ?

J’en avais marre de faire des shows où l’on sait comment tout va se dérouler.

Je me suis retrouvée à tourner aux Etats-Unis dans des salles où j’avais déjà joué, mais c’était cool. Et puis au Bluesfest d’Ottawa, au Canada, je n’ai jamais vécu un truc aussi bien de ma vie : on jouait en milieu d’aprèm, dans une partie du site où il n’y avait personne, à part cinq badauds assis loin de la scène. Le concert devait durer quarante-cinq minutes, mais on s’est fait embrouille­r par le groupe d’avant, qui nous a gratté dix minutes, puis par les gens du plateau, qui nous ont fait bouffer dix minutes de plus. Pour la première fois, moi qui normalemen­t suis assez protégée par mon équipe, j’ai poussé une régisseuse, prête à me battre, pour monter sur scène et j’ai décidé de la setlist sur scène, puisqu’on ne pouvait plus jouer celle qui était prévue. Et là, il n’y avait personne, donc rien à perdre, c’était une joie. Je ne me suis jamais autant amusée de ma vie. En sortant de scène, je me suis dit que maintenant, le challenge, c’était de se lâcher et de s’en foutre des a priori – qu’est-ce que tu en as à foutre ?

De toute façon, c’est que de la musique.

Tu es du genre à regarder tes prestation­s en vidéo le lendemain d’un show, histoire de voir s’il y a des choses que tu peux améliorer ?

Je ne regarde rien. Je ne regarde jamais en vidéo un concert de la veille ! Je me suis souvent posé la question d’ailleurs : est-ce que ça fait de moi quelqu’un de pas profession­nel ? Je n’ai jamais étudié mon jeu sur scène. Mais c’est un truc qui me vient du cinoche, et de mon père en particulie­r. C’est l’une des personnes les plus radicales avec qui j’ai travaillé dans ce métier. Il m’a élevée avec l’interdicti­on de regarder les rushes.

Il me disait que si tu regardes les rushes, tu ne peux te retrouver que dans deux cas de figure : soit tu ne t’aimes pas, et le lendemain tu bloques ; soit tu t’aimes bien, et dès le lendemain tu refais ce que tu as fait la veille parce que tu es contente de toi. J’ai gardé cette idée en me disant que si je remets le nez dans mes concerts, ça va être la même chose. Si je vois un truc qui ne me plaît pas, je vais commencer à sur-penser le bordel. Je crois que si les gens à mes concerts sont émus, ceux qui aiment ce que je fais, c’est parce que depuis le début j’y suis allée avec une honnêteté désarmante.

“Je me suis retrouvée à faire le dernier disque pour me mettre en danger, pour qu’il y ait quelque chose qui me foute la trouille. Que quelque chose se joue”

Tu attends quoi maintenant de la scène ?

Maintenant, l’excitation pour moi, c’est l’aventure. Je pense que c’est la seule manière de comprendre l’ensemble de ma carrière. Ça fait vingt ans que je fais des métiers qui sont exposés : si je regarde tout, la seule trame logique, c’est cette volonté de me mettre en danger. On est des boulimique­s, on a besoin de chercher l’aventure tout le temps. Et quand elle est terminée, malheureus­ement, on passe vite à autre chose. Je sais que plein de gens voulaient que je fasse Places II, mais plutôt crever ! Les artistes que j’ai aimé·es ont toujours eu cette attitude. Il y a très peu de gens qui savent ce que je vais faire après, étant donné que moi-même je n’en ai aucune idée ! Je vais continuer à y aller à l’instinct.

Concert Le 7 mars, Paris

(Les Inrocks Festival, La Gaîté Lyrique)

Playlist exclusive de Lou Doillon à écouter sur l’appli Inrocks

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A Paris, en février
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