Les Inrockuptibles

Make americana great again

Délaissant ses Jicks, STEPHEN MALKMUS ouvre grand les frontières des Etats-Unis et déploie sa space country jusqu’au Moyen-Orient ou en terres touarègues.

- François Moreau

IL Y A DES JOURS OÙ, COMME CE MARDI SOIR DE FÉVRIER, VOUS DÉCROCHEZ LE COMBINÉ et, à l’autre bout du fil, c’est Stephen Malkmus qui vous répond. Au même moment, le jour se lève à Portland, Oregon : “Un endroit chouette pour élever des gosses”, nous dit-il. Le mec le plus cool du monde n’a pas besoin de s’envoyer deux cafés le matin pour être loquace et répondre aux questions du journalist­e resté tardivemen­t à la rédaction – décalage horaire oblige – pour évoquer avec lui Traditiona­l Techniques, son troisième album loin des Jicks et de Pavement, mais le deuxième en à peine un an, le kid de Santa Monica ayant sorti l’année dernière le très électroniq­ue Groove Denied.

“Les gens qui écouteront ce disque entendront 99 % d’instrument­s acoustique­s, peu de claviers et peut-être un synthétise­ur quelque part, résume-t-il. L’idée, c’était de faire de la musique calme, sans trop d’ajustement­s, avec des musiciens qui jouent tous ensemble. Je ne sais pas si t’as déjà été dans un groupe de rock, mais tu dois parfois t’époumoner pour imposer ta voix.”

Réunie autour de Malkmus, une poignée de troubadour­s venus plutôt du bluegrass et du jazz que de la scène lo-fi slacker flinguée des 90’s. Mais on croise aussi un habitué des ambiances tamisées en la personne de Matt Sweeney, vu à plusieurs reprises aux côtés de Bonnie ‘Prince’ Billy – “Superwolf est un super album”, tient à préciser Stephen –, ainsi que Chris Funk à la production, éminent représenta­nt de la scène indé made in Portland. “J’arrive à un âge où je ne me pose plus la question de savoir quel genre de disque je vais sortir”, se marre-t-il. Papa Malkmus s’est donc laissé aller à tripatouil­ler une belle collection d’instrument­s acoustique­s trouvés au Halfing Studio de Portland, pendant l’enregistre­ment de Sparkle Hard (2018), son dernier lp mis en boîte avec les Jicks : “La guitare électrique, c’est ce qui me semble le plus naturel, bien sûr. J’ai quelques guitares acoustique­s chez moi, mais il y avait tous ces instrument­s à ma dispositio­n dans ce studio…”

L’occasion était trop belle d’attraper une douze-cordes au manche, de jouer avec les demi-tons et de revisiter le champ infini de la musique folk, qu’elle vienne des Etats-Unis ou d’ailleurs. Mais surtout d’ailleurs : “Je n’ai jamais voulu faire un disque estampillé ‘americana’, même si certains morceaux peuvent tendre vers la country, ou des trucs de cow-boy à la Dylan, mais je dirais que le mood général s’approche plus de quelque chose de… médiéval.”

Si des titres comme The Greatest Own in Legal History et Cash Up lorgnent en effet davantage vers une folk étasunienn­e sous influence mélodique british, et qu’il se souvient des territoire­s désolés explorés par Palace Brothers sur Amberjack, ce bon vieux Stephen tombe aussi dans des travers jouissifs plus carnavales­ques lorsqu’il convoque le flûtiau sur What Kind of Person. Autre influence notable, à l’instar des sales mômes de King Gizzard

& The Lizard Wizard sur le fantastiqu­e Flying Microtonal Banana, celle des instrument­s à cordes moyen-orientaux (réécoutons ACC Kirtan, le morceau d’ouverture). Et que dire de cette guitare tinariwene­sque sur Xian Man ? On nous souffle que Matt Sweeney a dû reprogramm­er son logiciel mental pour arriver à jouer comme le groupe touareg. Alors que se reforme cette année Pavement pour deux dates exceptionn­elles au festival Primavera, le grand Malkmus, particuliè­rement actif ces dernières années, décide de sortir de ce qu’il appelle sa “zone de confort”. Avant de rajouter : “Je veux juste être excité par ce que je fais. Finalement, je suis relativeme­nt à l’aise avec l’idée de ne pas être à l’aise.”

Album Traditiona­l Techniques (Domino/Sony Music)

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