Le Mystère von Bülow de Barbet Schroeder
Autopsie d’un couple, plongée dans le New York mondain et Nosferatu dandy : un grand film vénéneux des années 1990 à revoir.
HOLLYWOOD NOUS A HABITUÉ·ES AUX GRANDES FIGURES DE CITOYENS IDÉALISTES se battant pour défendre des causes perdues (dernier exemple en date : Dark Waters de Todd Haynes). La fiction s’active avec le sentiment d’injustice, le surgissement d’une étincelle au sein d’une conscience qui se battra pour faire régner la vérité au sein d’un monde corrompu. Le Mystère von Bülow de Barbet Schroeder, oeuvre oubliée dans les méandres des années 1990, opère quant à lui une inversion des valeurs fascinante, subversive, arrimée à un fait divers passionnant : au début des années 1980, Claus von Bülow, ancien avocat dandy et oisif marié à une femme richissime, est inculpé pour deux tentatives de meurtre. Sa femme Sunny von Bülow tombe une première fois dans le coma, se réveille et, un an après, retombe dans un état végétatif irréversible. Ses enfants accusent leur beau-père de lui avoir injecté une dose létale d’insuline pour amasser le coquet héritage.
Le film commence au moment où Claus von Bülow (Jeremy Irons) fait appel aux services d’un avocat, Alan Dershowitz (Ron Silver), qui s’entoure de ses étudiants les plus brillants avec une seule idée en tête : innocenter le coupable parfait. La fiction commence à rebours de toutes les autres : l’avocat s’enthousiasme pour un défi a priori impossible à relever tant tout accuse son client, à commencer par une réputation médiatique désastreuse.
Les codes du film d’investigation sont respectés à la lettre, entourés d’un merveilleux fumet 90’s : les piles de dossiers à éplucher, les débats jusqu’au petit matin, l’air chiffonné, mug à la main et chemise froissée. A mesure que la contre-enquête avance, Schroeder injecte dans la conscience de son spectateur un venin délicieux où toute preuve peut se retourner en son contraire, où la figure de l’avocat se définit d’abord par son amoralité – cohérent, le cinéaste réalisera des années plus tard un documentaire sur Jacques Vergès.
Mais le film est aussi l’implacable autopsie d’un couple, un genre de Gone Girl parfaitement décadent où la guerre des sexes prend place dans un manoir plongé dans l’ombre : la voix off de Glenn Close retentit par-dessus son corps cadavérique pour nous donner sa version des faits, tandis que Schroeder enfreint les règles les plus élémentaires du flash-back, qui épouse la version frelatée de Claus : Sunny serait une femme déprimée, malade, développant une addiction aux médicaments qui l’aurait menée à sa perte.
Merveille de film qui nous donne à revoir ces acteur·rices à l’élégance vénéneuse qui ont régné sur les années 1990 : pas de hasard si Close a incarné Cruella et Madame de Merteuil, tandis qu’Irons a prêté sa voix au Scar du Roi lion et son visage ciselé à Humbert Humbert ( Lolita d’Adrian Lyne, 1997). Il est ici filmé comme un être à part, appartenant à un autre régime d’images, rémanence de la sophistication empoisonnée d’un James Mason ou d’un Boris Karloff. Véritable Nosferatu dont la présence ténébreuse infecte chaque fiction dans laquelle il se trouve, figure surannée de dandy méphistophélique qui nous ouvre les portes d’un outre-monde dépravé.
Le Mystère von Bülow de Barbet Schroeder, avec Glenn Close, Jeremy Irons,
Ron Silver (E.-U., Jap., G.-B., 1990, 1 h 51, reprise en version restaurée)