Les Inrockuptibles

She had a dream...

- Fabienne Arvers

DE NINA SIMONE, ON CONNAÎT LA VOIX. Un diamant noir, grondant et velouté. Une voix qu’elle dût chercher au fond d’elle-même, après s’être heurtée au refus des Blancs de reconnaîtr­e la pianiste virtuose qui avait consacré son enfance à préparer le concours du Curtis Institute de New York. Piétiné, son rêve de devenir la première concertist­e classique américaine noire dans les années 1950. Fracassé par l’iniquité des lois Jim Crow qui légitimaie­nt la ségrégatio­n raciale, jusqu’à l’apparition du mouvement des droits civiques dont elle fut littéralem­ent le porte-voix courageux et déterminé.

Le secret de sa voix, elle le confie dans une lettre à son père, jamais envoyée, mais qui ouvre Le Silence et la Peur de David Geselson. “Papa, est-ce que tu sais que la voix est le seul instrument pur ? Qu’elle a des notes qu’aucun autre instrument n’a ? C’est comme être entre les touches d’un piano (…). C’est comme moi. Je vis là. Entre ces deux mondes, noir et blanc. Je suis

Nina Simone, la star, et je ne suis pas là. Je suis une femme. Celle que je suis en secret est cachée entre ces deux mondes.”

Comme pour ses précédents spectacles, En route-Kaddish et Doreen, David Geselson s’est longuement documenté sur le parcours de Nina Simone pour écrire Le Silence et la Peur. Mais comment un Blanc peut-il parler de l’histoire des Noirs américains ? En allant à leur rencontre : “Pas tant pour se donner une légitimité que pour poursuivre ce qu’on fait depuis le début : travailler avec les gens dont c’est l’histoire, pour savoir comment en parler de manière complexe, profonde.”

C’est au Harlem Stage de New York qu’il rencontre Dee Beasnael, qui interprète Nina Simone, puis Kim Sullivan, qui joue son père, et en Angleterre qu’il découvre Craig Blake, d’origine jamaïcaine, qui incarne les compagnons successifs de Nina Simone. Autour d’eux, Laure Mathis et Elios Noël prennent en charge les rôles de

Muriel, qui lui apprit le piano pendant dix ans, et de son mari, Jean-Louis Mazzanovit­ch.

Chambre d’écho de la lutte pour les droits civiques, l’histoire de Nina Simone fait du Silence et la Peur une réflexion commune de ce qui sous-tend l’appropriat­ion culturelle : “Parfois, on veut parler pour et on parle à la place. C’est le nerf de la guerre du spectacle, une question continue dans le travail.” De cette écriture partagée naît un spectacle magnifique où l’altérité se formule en anglais, en français et en ngambay, la langue du Ghana où est née Dee Beasnael avant de grandir aux Etats-Unis. Une transmissi­on, vivante et incarnée, d’une lutte pour les droits civiques bien loin d’être gagnée, toujours d’actualité.

Le Silence et la Peur texte et mise en scène David Geselson, avec Dee Beasnael, Craig Blake, Laure Mathis, Elios Noël et Kim Sullivan. Jusqu’au 8 mars, Théâtre des Quartiers d’Ivry. En tournée jusqu’au 29 avril

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