Les Inrockuptibles

Le regard punk

Personnage et icône de la scène française depuis les années 1980, NINA CHILDRESS fédère par son énergie, son aura et ses hits de peinture. Cette présence prolixe et généreuse, on la découvre à la Fondation Ricard.

- Ingrid Luquet-Gad

NINA CHILDRESS SAIT PEINDRE FLOU, ABSTRAIT, HYPERRÉALI­STE, ET DE CETTE VERSATILIT­É ELLE

NE SE PRIVE PAS. A la Fondation Ricard, une ligne de portraits accrochés en frise, à hauteur d’yeux, en donne la mesure. “J’ai voulu montrer qu’elle n’avait pas de style de référence, explique Eric Troncy, commissair­e de l’exposition. Et pourtant, on reconnaît tout de suite un tableau de Nina Childress, de la même façon que l’on identifie un épisode de la série Black Mirror, quand bien même les personnage­s et les époques ne sont jamais les mêmes.”

C’est que, chez elle, la question du style passe par autre chose, cette autre chose que tentera alors de déployer le reste de la propositio­n. Lobody Noves Me, son titre, pose les jalons fondamenta­ux pour saisir la manière de procéder de l’artiste. On y retrouve, discrèteme­nt, l’alternance entre “good” et “bad” qu’elle cultive en réalisant souvent une “bonne” et une “mauvaise” version de la même toile, tout autant que l’usage de la peinture phosphores­cente, peut-être l’un des aspects les plus aimés de son travail visible dès l’entrée.

Née à Pasadena aux Etats-Unis en 1961, elle fait partie de la scène française depuis le début des années 1980. Avant la peinture, ce fut le punk. Nina Childress n’est pas encore Nina Childress, mais Nina Kuss, égérie du groupe Lucrate Milk. A sa dissolutio­n en 1984, elle s’engage dans une autre aventure collective aux côtés des Frères Ripoulin, groupe d’artistes où gravitèren­t notamment Pierre Huyghe et Claude Closky. Sa peinture, nécessaire­ment, on la reçoit entretissé­e de cette histoire, et aura.

Personnage, voire icône, elle expose comme elle produit, c’est-àdire avec profusion et générosité. D’où cette exposition, la première personnell­e en institutio­n à Paris, après la récente présentati­on d’un ensemble de toiles au sein de Futur, ancien, fugitif au Palais de Tokyo à l’automne 2019, centrée autour d’un parti pris de peinture, “sans trépied ni artifices”. Eric Troncy lui propose d’encadrer certains tableaux, ajoute des cartels “un peu gros” et, au passage, quelques fausses références de collection­s, et fait tout pour donner l’impression d’une exposition de peinture classique. Parmi les mille et quelques tableaux de son corpus, il retient ceux qui ont trait à la peinture, évitant de donner trop de place à la partie la plus connue de son travail, les portraits de stars des années 1960-70.

Ici, il y a certes France Gall, Sylvie Vartan avec un bras cassé ou Britt Ekland, mais aussi une version monumental­e d’Un enterremen­t à Ornans de Courbet (1849-1850) brossée en dominantes vert fluo et jaune acide. Les personnage­s y ont des sacs sur la tête, référence au suicide du peintre Bernard Buffet, anecdote vite court-circuitée par la reprise du même motif au sein de l’Autoportra­it au slip sur la tête.

La question du style, on l’approche par ce biais, au sens où l’artiste ferait presque figure de média à elle toute seule : les images, indistinct­ement de l’art et de la culture populaire, du passé et du présent, elle les appelle et les consomme, les soumet à sa conjugaiso­n subjective pour les remettre ensuite en circulatio­n, légèrement altérées, comme si on les percevait dès lors à travers le filtre effet “Nina Childress”.

Lobody Noves Me jusqu’au 28 mars, Fondation Ricard, Paris

 ??  ?? Nina Childress, L’Enterremen­t, 2011
Nina Childress, L’Enterremen­t, 2011

Newspapers in French

Newspapers from France