Les Inrockuptibles

Soleil noir

Avec PENNY DREADFUL : CITY OF ANGELS, John Logan offre à son feuilleton gothique une déclinaiso­n américaine dans laquelle les forces obscures s’agitent sous les cieux angelins. Malgré le soin apporté, la greffe ne prend pas totalement.

- Alexandre Büyükodaba­s

POURQUOI EST-CE QU’ON A TANT AIMÉ “PENNY DREADFUL”, la série de John Logan diffusée entre 2014 et 2016, malgré sa solennité un peu pompeuse et ses tournures indigestes ? Pourquoi ses figures tragiques et son ambiance vénéneuse nous hantent-elles encore suffisamme­nt pour que la perspectiv­e d’un spin-off ait excité notre curiosité ?

De ce remix baroque du folklore victorien, dévoré avec le même appétit que les lecteurs de revues à deux sous dont il s’inspirait, nous reste d’abord une étreinte, faite de mélancolie et de douleur, de sang et de larmes. Nous reviennent ensuite les scènes de possession d’Eva Green, la rage incontrôla­ble de Josh Hartnett ou la solitude infinie de Caliban. On se souvient alors que sa puissance d’incarnatio­n était mise au service d’un romantisme fou, excessif et malade, qui charriait dans un même souffle la lumière et les ombres. Du bestiaire fantastiqu­e invoqué, ce sont les émotions qui nous avaient transporté·es. Nous étions les monstres, et l’abîme nous regardait.

La menace de City of Angels s’exerce quant à elle en plein soleil, et ses ombres sont plus diffuses. Los Angeles, 1938. Santiago Vega intègre les rangs de la police. Placé en binôme avec un vieux flic désabusé pour enquêter sur un double meurtre, il voit ses conviction­s mises à rude épreuve par les exactions auxquelles est soumise sa communauté d’origine. Discrèteme­nt mêlé·es à la population, des sorcières et des nazis ourdissent de sinistres desseins.

Les trois épisodes auxquels nous avons eu accès prennent le temps d’installer le cadre du récit, celui d’une ville en plein essor économique guettée par des rapaces en tous genres et agitée par des tensions communauta­ires. En mettant en scène les persécutio­ns exercées envers sa population latino-américaine (un projet de route menace de détruire leur quartier historique), la série rappelle que l’Amérique s’est construite dans le sang, et que ses progrès industriel­s ont toujours eu un coût humain. Sur ce terreau reconstitu­é avec soin se greffe un imaginaire composite reliant l’affaire du Dahlia noir aux légendes mexicaines, en passant par les rites sataniques. Le maillage narratif est si dense qu’aucun de ses fils ne parvient pour le moment à accrocher notre attention.

De la série mère qui nous avait ému·es, on ne retrouve que des échos lointains ou des esquisses à encrer. Une sorcière transformi­ste moins convaincan­te que ses cousines anglaises, une romance trop hésitante et une communauté de destins encore en pointillé. Il nous manque une porte d’entrée intime, émotionnel­le pour que cet imaginaire touffu se mette à palpiter, mais aussi le souffle feuilleton­esque et pulp qui agitait le

Penny Dreadful d’origine : paradoxale­ment, un peu de légèreté dans la noirceur.

Penny Dreadful : City of Angels sur Canal+ Séries

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Natalie Dormer

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