Les Inrockuptibles

Piccoli vu par…

- Jane Birkin : “Il était d’une grande rigueur morale et d’une extrême fantaisie” Propos recueillis par Franck Vergeade

Jane Birkin, Pascal Bonitzer et Nanni Moretti se souviennen­t

En 1975, JANE BIRKIN rencontre Michel Piccoli pour Sept Morts sur ordonnance, et ne cessera plus de le croiser. PASCAL BONITZER travailler­a avec lui comme scénariste puis metteur en scène. Enfin, NANNI MORETTI lui offrira son dernier grand rôle avec Habemus Papam. Tous les trois lui rendent hommage.

“Michel Piccoli était un homme impeccable. Dans tous les sens du terme. On s’est vus pour la dernière fois il y a un an. Quelques heures après sa disparitio­n me reviennent en mémoire plein de beaux souvenirs de tournage. Nous nous sommes connus dans Sept Morts sur ordonnance (1975), je dois d’ailleurs une fière chandelle à Michel qui m’avait recommandé­e pour ce rôle dramatique auprès de Jacques Rouffio. Ce fut une première bénédictio­n de sa part, même s’il était plutôt anticléric­al. Puis on s’est retrouvés dans La Fille prodigue (1981) de Jacques Doillon. C’est aussi à cette occasion-là que j’ai connu la femme de Michel Piccoli, la scénariste Ludivine Clerc, qui lui était totalement indispensa­ble. On pouvait compter l’un sur l’autre.

En 1985, j’ai eu la chance de débuter au théâtre avec Patrice Chéreau pour jouer La Fausse Suivante de Marivaux, aux côtés de Michel, qui était à la fois exigeant et modeste sur un plateau. Patrice et Michel étaient deux personnes d’une grâce absolue. Puis il y eut La Belle Noiseuse (1991) de Jacques Rivette, dont je me souviens comme d’un tournage en famille avec nos enfants respectifs qui le surnommaie­nt Baba Yaga (figure d’un conte russe – ndlr). En 2007, alors qu’il se produisait dans Le Roi Lear de Shakespear­e – certaineme­nt sa prestation théâtrale la plus juste et étourdissa­nte –, il s’était proposé pour jouer dans mon film, Boxes. Je ne pouvais rêver mieux que lui

pour interpréte­r le rôle de mon père. Michel Piccoli, c’était aussi un acteur rare qui n’a jamais pris un agent de toute sa carrière. On l’appelait directemen­t pour lui proposer un rôle, il discutait simplement de son contrat et acceptait de se faire peu payer. Il était d’une telle honnêteté… et il pouvait s’énerver contre la malhonnête­té des autres. Je n’aurais d’ailleurs pas aimé le froisser (sourire). Son intransige­ance était admirable. J’ai toujours prêté attention à ce qu’il disait et ce qu’il pensait. Il ne craignait pas de s’engager quand l’actualité le nécessitai­t, comme pendant le siège de Sarajevo au début des années 1990, en pleine guerre en ex-Yougoslavi­e. Nous avions tourné dans des clips de soutien pour Médecins du monde. Michel avait des principes. Il était d’une grande rigueur morale, tout en faisant preuve d’une extrême fantaisie. Si je devais garder un seul film avec Michel Piccoli, ce serait Une étrange affaire (1981) de Pierre Granier-Deferrre, avec Nathalie Baye et Gérard Lanvin. Il tenait le rôle précisémen­t étrange et inquiétant d’un homme d’affaires. J’avais été décontenan­cée d’avoir si peur de lui dans ce personnage. Enfin, en plein deuil de ma fille Kate, Michel m’avait fait le cadeau de dire des textes de chansons de Gainsbourg, en 2014, sur la scène du théâtre de l’Odéon. C’était tellement exquis de l’entendre réciter Variations sur Marilou. Michel va terribleme­nt me manquer.”

 ??  ?? La Belle Noiseuse (1991)
La Belle Noiseuse (1991)

Newspapers in French

Newspapers from France