Les Inrockuptibles

1963 / Le Mépris de Jean-Luc Godard

- J.-M. L.

Au scénariste qui essaie de psychologi­ser L’Odyssée en supputant que si le héros d’Homère quitte Ithaque pour un long voyage, c’est qu’il n’a pas très envie de rester avec sa femme, le grand cinéaste (Fritz Lang) répond avec autorité qu’il se trompe : Ulysse n’est pas un névrosé moderne. Le scénariste qui se trompe, c’est Michel Piccoli, et c’est aussi la quintessen­ce d’un névrosé moderne. Sa vie entière est grevée de conflits qu’il ne résout pas : écrivain, il méprise le cinéma mais cachetonne en modelant des scénarios qui ne l’intéressen­t pas ; mari jaloux, il précipite pourtant son épouse dans les bras de celui qui la lui prendra. Tous ses agissement­s vont à l’inverse de son désir. Il est la passivité même. Il laisse faire : il laisse l’homme puissant lui prendre sa femme, sa femme, le quitter presque contre son gré, et le film dans le film, dériver. Tout au plus cette impuissanc­e rencontre-t-elle un certain état du cinéma, au pic de sa déconstruc­tion moderniste. Désormais, il n’y a plus grand-chose à faire qu’à laisser faire. La panne, c’est ce qui relie l’homme et le cinéma modernes. Nul mieux que Piccoli n’a su camper cette douleur calme, cette dérélictio­n subie mais assumée.

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