1967 / Les Demoiselles de Rochefort 1982 / Une chambre en ville de Jacques Demy
Michel Piccoli était une équation à plusieurs inconnues. A deux reprises,
Les Demoiselles de Rochefort (1967) et Une chambre en ville (1982), Jacques Demy l’avait en partie résolue en s’attachant à deux de ses termes majeurs : Michel le bon, Piccoli le méchant. Dans Les Demoiselles, il est Simon Dame, marchand d’instruments de musique. Dans Une chambre en ville, il est Edmond Leroyer, vendeur de postes de télévision. Des petits commerçants à l’ancienne dont les prénoms riment. Mais chacun à sa porte, Simon et Edmond sont aux antipodes. Simon comme un marchand de bonheurs. Edmond comme un représentant en malheurs. Dans le cinéma de Jacques Demy, les couleurs disent beaucoup. Simon surgit dans un costume en velours éclatant, Edmond est engoncé dans un habit plus vert que le sapin dont on fait les cercueils. Le magasin de monsieur Dame est ouvert à toute la lumière de ses vitrines, l’échoppe de Leroyer est un entresol crépusculaire. Le comptoir de la vie enchantée contre la petite boutique des horreurs.
De même pour la psyché des personnages. Tout de gentillesse solaire, Simon Dame engrange en souriant les blagues que son patronyme inspire.
Notamment celles de Danielle Darrieux (Yvonne Garnier, la mère des jumelles), qui minaude qu’elle ne put autrefois se résoudre à l’épouser, car il aurait fallu alors qu’elle réponde au nom de “madame Dame”. Tout de haine paranoïaque exagérée par son impuissance, Edmond est un meurtrier en gésine qui finit par se retourner contre lui-même lors d’une scène éprouvante où il se tranche la gorge au rasoir sous les yeux d’Edith (Dominique Sanda, sa jeune épouse) : “Comme ça, tu ne m’oublieras pas.” Drôle de déclaration mais déclaration quand même. Car autant dans Les Demoiselles que dans Une chambre en ville, Demy rebat les cartes et brouille les évidences. Certes, Simon est un sympathique ange brun, mais son angélisme frôle parfois la mièvrerie. Bien sûr, Edmond est un horrible démon aux cheveux roux, mais aussi un fou d’amour consumé par son désir impossible. Ainsi vaquait l’immense talent de Michel Piccoli : faux, vrai, gentil, méchant. Sans qu’on puisse trancher.