Les Inrockuptibles

Trous de mémoire

La saison 2 d’Homecoming poursuit des personnage­s amnésiques. Un exercice de style certes savoureux, mais qui peine à résonner avec nos angoisses contempora­ines

- Alexandre Büyükodaba­s

UNE FEMME SE RÉVEILLE DANS UNE BARQUE

À LA DÉRIVE au milieu d’un lac. Un homme l’observe depuis la rive avant de s’enfuir. Elle ne sait ni qui elle est, ni comment elle s’est retrouvée dans cette situation inconforta­ble.

Un jeu de piste paranoïaqu­e se met en branle, structuré par un chapelet d’indices : clefs de voiture, carte d’identité, tatouage militaire ou serviette de bar. Il s’agit alors, pour le personnage comme pour le spectateur, qui lui est strictemen­t assimilé, de recomposer une identité et une mémoire doubles : celles qui constituen­t le horschamp de ce réveil amnésique comme celles qui le raccordent à l’univers fuyant de la série.

Créée par Eli Horowitz et Micah Bloomberg à partir de leur podcast et mise en scène par Sam Esmail (Mr. Robot), la première saison d’Homecoming plongeait Julia Roberts dans un cauchemar aux contours cinéphiles.

En dix épisodes de trente minutes, elle explorait les zones d’ombre d’un programme pour vétérans de guerre souffrant de stress posttrauma­tique. Charge à son personnage à multiples facettes de dissiper le parfum de complot pour en démêler les fils vaporeux.

Cette fois encore, les dés sont pipés sur toutes leurs faces. Côté fiction, les clefs n’ouvrent pas la bonne voiture, le tatouage se décolle façon décalcoman­ie et la carte d’identité s’avère fausse. Quant aux forces qui l’agitent, elles brillent par l’absence de Julia Roberts et de Sam Esmail, remplacé par des copistes appliqués. L’ADN de la série, pourtant, est reconnaiss­able, tant dans ses afféteries formelles que ses artifices narratifs, et les trajectoir­es de ses personnage­s convergent vers les locaux de Geist, l’entreprise privée à l’origine du programme Homecoming.

Toute en cadres composés et en lents mouvements de caméra, la mise en scène travaille une esthétique vintage inspirée autant par les codes du film noir que par les thrillers psychologi­ques de David Fincher ou Brian De Palma. Jouant avec habileté du planséquen­ce ou de l’écran divisé pour appuyer la tension schizophrè­ne qui étreint ses figures parcellair­es, les épisodes s’inscrivent dans une mémoire cinéphile (jusqu’à réutiliser certains morceaux de BO antérieure­s) qui participe du jeu de pistes par correspond­ances secrètes – ou les brouille un peu plus.

Souvent brillant, cet exercice de style référencé donne au récit une coloration artificiel­le, pertinente quand elle induit chez le personnage-spectateur la sensation d’être piégé dans une simulation, moins opportune lorsqu’il s’agit de frotter ces mésaventur­es à un sentiment d’insécurité collectif. Reliés, ses fils narratifs bouclent eux-mêmes sans parvenir à accrocher réellement quelque chose de nos angoisses existentie­lles contempora­ines, qui constituen­t pourtant la toile de fond du récit et la cible du programme Homecoming.

Si l’on s’y prête avec délice, ce jeu de pistes débouche sur une impasse.

Homecoming Saison 2 sur Amazon Prime Video

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Janelle Monáe

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