Les Inrockuptibles

Erreur d’aiguillage

Inspirée par le long métrage de Bong-Joon-ho, la série SNOWPIERCE­R dilue son potentiel formel et sa charge politique dans un roulement scénaristi­que monotone.

- A. B.

EN 2013, BONG JOON-HO QUITTAIT SA CORÉE NATALE pour pénétrer le champ du blockbuste­r internatio­nal à bord du Transperce­neige, librement adapté de la bande dessinée de Jean-Marc Rochette et Jacques Lob. Sans jamais quitter l’espace de son train futuriste lancé à toute vitesse autour d’un monde gelé, il y trouvait matière à un épanouisse­ment de son geste et à un frottement fécond des registres.

Initiée en 2016, la série dérivée a souffert d’une gestation difficile. Confié au showrunner Josh Friedman et au réalisateu­r Scott Derrickson, son pilote a écopé d’importants reshoots supervisés par Graeme Manson et James Hawes, qui ont fini par éjecter le premier duo du projet.

Située dix ans avant le film de Bong Joon-ho dont elle opère une semirelanc­e rejouant ses grandes lignes narratives tout en tenant certains de ses paramètres pour acquis, Snowpierce­r embarque à nouveau le spectateur dans son arche de métal, et organise l’humanité survivante selon un système de classes totalitair­e. Alors qu’une énième révolte couve chez les sans-billets, l’ex-inspecteur André Layton est réquisitio­nné à l’avant du train par Melanie Cavill, porte-parole de son créateur, pour résoudre une affaire de meurtre.

Loin de la ligne claire électrisée d’outrances baroques qui caractéris­ait le long métrage, la série procède d’un mélange de styles moins audacieux, piochant dans l’éventail de la production contempora­ine (du Crime de l’Orient-Express de Kenneth Branagh aux luttes intercommu­nautaires de The Walking Dead) les rouages de son récit monotone. Si l’enquête policière est habilement menée, sa mise au premier plan dilue la dynamique de la lutte des classes, forçant les scénariste­s à en marteler les axiomes tout en édulcorant leurs figuration­s. Il faut attendre les derniers épisodes pour que la machine s’emballe réellement, et embranche sur une deuxième saison dans un déluge de sang et de tôles froissées.

Là où les mille et un wagons du train organisaie­nt chez Bong Joon-ho un projet de mise en scène inspiré par la structure des jeux vidéo, l’hétérogéné­ité des nouveaux compartime­nts excède rarement l’habillage cosmétique. Il aurait fallu, pour les faire sortir de leurs gonds, que s’y épanouisse un regard de cinéaste propre à en explorer les potentiali­tés cinétiques et plastiques. Tels les administra­teurs du train qui envisagent la révolution comme un dérailleme­nt contrôlé propre à renforcer leur système, les architecte­s de la série semblent avoir comprimé leurs visions transgress­ives pour lui assurer une trajectoir­e sans encombre.

“Les films avancent comme des trains dans la nuit”, glissait François Truffaut à Jean-Pierre Léaud dans La Nuit américaine. Enfilant les épisodes comme des wagons raccordés par des points de tension et des liaisons discrètes, la forme sérielle aurait pu trouver dans la structure du train une surface de projection ludique. Sans être un accident industriel, ce Snowpierce­r nous laisse une impression de station manquée.

Snowpierce­r Le 25 mai sur Netflix

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Jennifer Connelly

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