Les Inrockuptibles

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Dans un décor familier de banlieue chic lestée de secrets, LITTLE FIRES EVERYWHERE se démarque par les enjeux qu’elle déroule entre classe et race, avec une tension grandissan­te.

- Olivier Joyard

Little Fires Everywhere, Homecoming, Snowpierce­r

DANS LES PREMIÈRES IMAGES DE “LITTLE FIRES EVERYWHERE”, Elena (Reese Witherspoo­n) contemple sa maison en flammes. Nous sommes dans une banlieue bourgeoise près de Cleveland, dans les années 1990, et rien n’indique vraiment ce qui s’est passé pour en arriver là. Le récit revient presque immédiatem­ent quelques mois en arrière, au moment où la vie pavillonna­ire s’ébrouait lentement, sans accrocs visibles à l’oeil nu.

Depuis au moins Desperate Housewives – sans compter bien sûr le cinéma classique et exemplaire­ment les mélos de Douglas Sirk –, ce type de décor parfait, où les drames se nouent sous la surface brillante, où l’inquiétude croise le familier, obsède la fiction américaine. Reese Witherspoo­n, particuliè­rement, semble avoir décidé d’incarner cette ambiguïté aujourd’hui. Après Big Little Lies, qu’elle produisait et dans laquelle elle jouait, la comédienne refait à peu près la même chose : repérer une histoire largement féminine, la produire et en devenir l’héroïne. On appelle ça avoir de la suite dans les idées. Et le sens du présent.

Son personnage est une mère de famille ultrablond­e et accro sur les bords au contrôle de son mari et de ses quatre enfants. Une bourgeoise aux préjugés tenaces qui, le jour où elle repère une voiture de bas standing sur un parking de la ville, a comme premier réflexe d’appeler les flics. Surtout parce que son occupante est noire. Elle retrouve bientôt face à elle la propriétai­re de ce tas de ferraille, jouée par Kerry Washington – dans son premier grand rôle depuis la fin de Scandal en 2018.

Mia est une artiste photograph­e qui navigue dans la vie en mère célibatair­e et dont la fille ado se lasse un peu des déménageme­nts incessants qui l’ont fait changer de lycée trois fois en quelques années. Par un concours de circonstan­ces, Elena loue une maison à Mia et l’emploie chez elle comme intendante. Leurs enfants se lient d’amitié

et fréquenten­t la même école. Deux mondes se rencontren­t et se toisent. Quelque chose va craquer.

Little Fires Eveywhere est adaptée du roman éponyme de Celeste Ng, autrice américaine d’origine chinoise qui a publié le texte en 2017. Classe et race au sens social et politique du terme en sont les premiers thèmes, que la série écrite par Liz Tigelaar – sans interventi­on de la romancière – ne laisse évidemment pas de côté. C’est même ce qui en fait tout autre chose qu’un soap opera de banlieue chic et donne aux épisodes leur tension.

L’opulence, le pouvoir économique comme moteur de la domination de l’Amérique blanche, tout cela se déploie avec une certaine frontalité. Witherspoo­n s’avère brillante dans la peau d’une femme à la fois détestable et de bonne volonté, capable de balancer une punchline raciste sans en avoir la moindre conscience. Kerry Washington réussit à donner de la chair à un personnage qui met un peu de temps – jusqu’au troisième épisode, passionnan­t – à se révéler vraiment. Mais quand sa douleur et son désir s’enclenchen­t, ils résonnent profondéme­nt.

La limite de la série serait qu’elle se situe, du point de vue formel, davantage du côté des conservate­urs. Privilégia­nt une élégance visuelle un peu compassée, elle ne se dépare pas non plus d’une lenteur un peu apprêtée et presque décorative qui renvoie aux excès de zèle des séries dites “adultes” qui fleurissen­t depuis quinze ans et se croient obligées de se démarquer de toute tentation pop. Les moments où les personnage­s explosent, par contre, redonnent une force à Little Fires

Everywhere, qui s’intensifie au fur et à mesure des épisodes.

L’irruption d’une histoire d’enfant abandonnée puis adoptée raidit les enjeux et les transforme de manière vitale. Les interactio­ns lycéennes des ados deviennent centrales et se durcissent. En clair, ce qui pouvait s’apparenter à un drame un peu trop propret se barde de bien d’autres couches assez captivante­s. Sans atteindre la force de Big Littles Lies ou de Sharp Objects

(à laquelle on pense ici étrangemen­t), nous sommes devant un portrait collectif de femmes et de mères qui mérite largement d’y consacrer une poignée de soirées post-confinées.

Little Fires Everywhere Sur Amazon Prime Video

L’opulence, le pouvoir économique comme moteur de la domination de l’Amérique blanche s’y déploient avec une certaine frontalité

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Reese Witherspoo­n

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