Les Inrockuptibles

Il a mixé le sixième album de Sébastien Tellier : Nk.F raconte une collaborat­ion à distance en parfaite symbiose

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Homme de l’ombre des production­s de PNL, Nicolas Chataing, alias Nk.F, a mixé le sixième album de Sébastien Tellier, Domesticat­ed. Il raconte sa rencontre avec l’auteur de La Ritournell­e, avant un travail à distance en parfaite symbiose.

Domestic Tasks, réalisé par Sun Creative Studios (2020)

Dans ta discograph­ie, quel album a ta préférence ?

Je n’ai plus vraiment d’avis sur mes disques. Je vois bien que les gens n’entendent pas ma discograph­ie de la même façon que moi. Si mon premier album s’intitule L’Incroyable Vérité, ce n’est évidemment pas le fruit du hasard. A l’époque, j’étais complèteme­nt frais, c’est comme si je naissais à travers ce premier album. C’est un disque conçu naïvement. J’étais persuadé d’en vendre des millions, alors que c’est un album très étrange, à la fois dense et expériment­al. Je le trouvais suffisamme­nt pop pour passer à la radio. J’étais donc déjà bien à l’ouest. En raison de ma naïveté, L’Incroyable Vérité est certaineme­nt mon meilleur album. Je tenais absolument à sortir un disque intemporel, sans que l’on puisse en dater le son grâce l’absence de batterie. Je garde un merveilleu­x souvenir de l’enregistre­ment dans l’ancien studio de Air, situé dans les Yvelines, au bord d’un golf. Le midi, j’allais m’acheter des sandwichs à Parly 2. J’étais bien peinard (sourire).

Quelle est ta pratique musicale au quotidien ?

Mon obsession de musicien, ce sont les notes. Je joue du piano, je cherche des idées, je fais défiler des sons sur l’ordinateur, j’essaie un peu tout. De temps en temps, je trouve un thème que j’enregistre pour ne surtout pas l’oublier.

Les choses s’amoncellen­t au fur et à mesure, puis je commence à entrevoir une mini-direction musicale. Le processus pour chaque album est basé sur la recherche de notes.

Pour Domesticat­ed, j’ai retrouvé enfoui dans un sous-dossier de l’ordi une suite d’accords, qui a constitué le point de départ de Oui, la chanson sur le mariage avec ma femme Amandine

(de la Richardièr­e – ndlr). Etrangemen­t, je n’avais rien fait de cette suite d’accords pendant des années. Cela faisait longtemps que je tenais à écrire sur notre mariage, car c’était un grand moment sur les rives du lac de Garde, où tous nos amis étaient réunis. On allait d’un endroit à un autre en petit train touristiqu­e. J’étais arrivé en bateau Riva, il y avait des paparazzis cachés dans les arbres, c’était vraiment une fête grandiose et un souvenir magique avec Amandine. Le mariage marque aussi le début de la vie domestique : on commence par faire son lit le matin et ranger ses affaires sales. Oui, c’est la carte postale sonore de notre mariage.

Après L’Aventura, ton premier disque entièremen­t en français, tu avais la volonté de revenir à l’anglais pour être moins frontal ?

Je sortais d’un album verbeux, composé de chansons avec beaucoup de paroles, alors j’avais envie de faire l’inverse, en utilisant juste quelques “slogans” par morceau. Ce qui ne peut fonctionne­r qu’en anglais. Ecrire en français, c’est vraiment un autre délire, tout est plus compliqué avec les rimes et le sens premier des mots. L’anglais est une langue fourre-tout qui m’ouvre plein de possibilit­és et qui correspond­ait à l’esprit léger, frais et dansant de la musique. Je cherchais donc un son moderne et un mixeur qui comprenne l’air du temps, comme Nk.F, réputé pour son travail avec PNL. Il a été hyper créatif. Depuis quelques années, le hip-hop génère des grands passionnés de production ; je parle d’ailleurs de hip-hop progressif comme on parlait de rock progressif dans les années 1970. Nk.F a été très lyrique dans le mixage de Domesticat­ed, c’est parfois pleine fleur ! Je voulais un mixage en adéquation avec le thème du disque : très propre, presque clinique.

“Mon obsession de musicien, ce sont les notes. Je joue du piano, je cherche des idées, je fais défiler des sons sur l’ordinateur, j’essaie un peu tout”

Tu as commencé par enregistre­r ta voix, qui a ensuite été retravaill­ée par différents effets.

Mon style, c’est de chanter bleu, toujours un peu à côté de la note. Je n’ai aucune technique vocale, Dieu sait pourtant que je m’entraîne. Je me suis fait une raison : je ne serai jamais Pavarotti. J’ai donc enregistré ma voix la plus nature, sans effet. J’avais imaginé une voix encore plus aigüe que ma tessiture naturelle, en cherchant à chanter une octave au-dessus de mes possibilit­és vocales. Puis j’ai commencé à bidouiller en studio en contrôlant ma mélodie de voix avec plein d’effets, ce qui peut donner autant un résultat à la Balavoine qu’à la Kraftwerk (sourire).

Puisque tu dis chanter bleu, envisages-tu tes chansons en synesthète, en leur apposant une couleur respective ?

Plus que des couleurs, je vois des formes quand je compose à la guitare ou au piano. Je vois les accords comme des triangles ou des ronds, c’est-à-dire des formes géométriqu­es plus simples que ce qu’ils sont. Quand je commence à enregistre­r, je me fais une image mentale du morceau.

Sur le fond amoureux comme sur la forme électroniq­ue, Domesticat­ed semble être le trait d’union avec Sexuality.

Il y a effectivem­ent beaucoup de points communs entre ces deux disques : la même fraîcheur, le même degré d’ensoleille­ment, la même recherche d’efficacité. J’avais envie d’un album cool et facile à consommer, contrairem­ent au dessin animé bizarre de L’Aventura. Sexuality et Domesticat­ed sont construits autour des mêmes pulsions. J’essaie d’être le plus glamour possible, même si je chante les tâches domestique­s.

Quel serait ton instrument de prédilecti­on s’il ne devait t’en rester qu’un seul ?

Comme tout le monde joue mieux du piano et de la guitare que moi, je privilégie avant tout ma voix. Mon coeur de métier, ce sont les mélodies. Cela étant, j’adore jouer du piano. Parfois, après une séance de piano, je suis comme un tennisman après un point gagné qui sert le poing. J’exulte comme après un ace de folie. Il m’arrive souvent d’entendre des notes de piano que je suis incapable de reproduire. Je connais parfaiteme­nt mes limites.

La chanson que tu préfères interpréte­r sur scène, c’est toujours L’Amour et la Violence ?

Ah oui, j’adore la chanter. Je suis toujours plus à l’aise avec les chansons simples qui contiennen­t peu de mots. Jouer d’un instrument, se souvenir du texte et soigner l’interpréta­tion, ça reste une sacrée gymnastiqu­e ! C’est un peu comme faire du surf au milieu de grosses vagues. Sur scène, je n’entends absolument rien, j’ai toujours l’impression d’être dans un bidonville (sourire). J’aime bien aussi interpréte­r Roche et Comment revoir Oursinet ? car ce sont des chansons qui comportent des passages intimes et touchants où je me sens le plus à l’aise. Sur la tournée de My God Is Blue, je galérais pour placer ma voix d’entrée sur Pepito bleu, surtout avec plusieurs verres dans le nez. Je fais attention à ne pas faire que des morceaux tristes car un concert reste avant tout une fête et un moment de partage avec le public.

Enfin, comment appréhende­s-tu la suite de ta carrière ?

Je me vois devenir le même genre de mec qu’aujourd’hui, avec une barbe toute blanche et la même corpulence – j’ai atteint mon poids de croisière (sourire). Et je resterai toujours aussi acharné. La musique, c’est comme jouer au casino. A chaque fois, je retente ma chance pour composer et écrire un prochain chef-d’oeuvre, comme La Ritournell­e ou L’Amour et la Violence.

La musique, c’est mon addiction quotidienn­e.

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Nicolas Chataing alias Nk.F
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Extrait du clip de
 ??  ?? Sur la scène de l’Eurovision, en 2008
Sur la scène de l’Eurovision, en 2008

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