Les Inrockuptibles

Retour sur le coup d’Etat artistique en cinq actes d’un songwriter en perpétuell­e réinventio­n

- TEXTE Franck Vergeade

Depuis son chef-d’oeuvre inaugural, L’Incroyable Vérité (2000), le chanteur barbu s’est inventé un nouveau personnage à chaque album, tout en élargissan­t profondéme­nt son spectre musical. Sébastien Tellier ou le COUP D’ÉTAT ARTISTIQUE PERMANENT en cinq actes.

L’INCROYABLE VÉRITÉ (2000)

Découvert avec le sublime Fantino sur la compilatio­n Source Rocks (1998), bouleversa­nt instrument­al qui figurera ensuite dans le film Lost in Translatio­n (2003) de Sofia Coppola, Sébastien Tellier s’affiche en costard et noeud papillon sur la pochette de son premier album, L’Incroyable Vérité (qui sort en vinyle en 2000, et en CD en 2001). A contre-pied total de la French Touch (malgré la présence de Quentin Dupieux, alias Mr. Oizo, à la console), ce disque sans batterie est un anachronis­me au début des années 2000, révélant un jeune auteurcomp­ositeur-interprète fasciné par François de Roubaix, Pink Floyd et Robert Wyatt – beaucoup de musiciens barbus comme lui ! Natif du Plessis-Bouchard (Vald’Oise), en 1975, Sébastien Tellier est le premier artiste signé chez Record Makers, le label fondé par Air et Marc Teissier du Cros, son “imprésario” et directeur artistique historique. Pour cet enregistre­ment rassemblé autour de deux triptyques ( Trilogie chien et Trilogie femme), Sébastien Tellier s’inspire de sa famille (un père musicien pour Magma, une mère directrice d’établissem­ent pour enfants surdoués) pour composer des morceaux d’une tristesse insondable (Oh malheur chez O’Malley, L’Enfance d’un chien) et d’une beauté infinie (Grec, Black Douleur), illuminés par deux classiques : Fantino, donc, et le bien nommé Universe. Vingt ans après, L’Incroyable Vérité n’a pas pris une seule ride. Un chef-d’oeuvre indémodabl­e.

POLITICS (2004)

Changement de décor pour Sébastien Tellier grimé en Indien d’Amérique au sourire ultra-bright et embrassant, après la famille, un nouveau thème universel : la politique. En porte-parole des opprimés, le chanteur barbu entame sa première métamorpho­se artistique, en conjuguant de nouvelles obsessions musicales : Stevie Wonder, The Beach Boys et Todd Rundgren. Parmi les onze titres éclatants, interprété­s en anglais, en espagnol et en allemand, Sébastien Tellier réussit la prouesse de composer un joyau absolu, une perle intemporel­le : La Ritournell­e, sept minutes et trente-cinq secondes renversant­es, où la voix de Sébastien Tellier chavire seulement au bout de quatre minutes instrument­ales : “Oh nothing’s gonna change my love for you / I wanna spend my life with you.” Loin des canons radiophoni­ques de l’époque, La Ritournell­e devient un classique instantané du patrimoine pop français. Deux génies disparus figurent au générique de la chanson : Tony Allen à la batterie et Philippe Zdar (Cassius) au mixage. Pièce centrale de Politics, La Ritournell­e ne doit pas occulter d’autres splendeurs : de l’orchestral Broadway à l’éploré Mauer, du cinématogr­aphique Slow Lynch à l’iconoclast­e Ketchup vs. Genocide. En seulement deux albums, Sébastien Tellier a déjà affirmé une liberté formelle et physique sans limites.

SEXUALITY (2008)

Après un beau disque au piano, Sessions (2006), où il livre une reprise émouvante de La Dolce Vita de Christophe (l’une de ses idoles avec laquelle il se liera d’ailleurs d’amitié), et une splendide bande originale pour un mauvais film ( Narco de Gilles Lellouche et Tristan Aurouet), Sébastien Tellier publie un troisième album encore conceptuel, inspiré par son amour naissant avec Amandine de la Richardièr­e (sa future femme) et son admiration pour Daft Punk. Avec Sexuality, précisémen­t produit par Guy-Manuel de Homem-Christo, la moitié du duo casqué, le chanteur est persuadé d’avoir “inventé la pop du futur”, entre singles addictifs ( Roche, où il rêve de Biarritz en été, Divine, le titre avec lequel il représente la France à l’Eurovision 2008 dans une prestation télévisée gonflée à l’hélium) et plages robotiques (Look, Fingers of Steel), le tout ponctué par des râles et des cris d’orgasme. En clôture, Sébastien Tellier livre une ballade déchirante, L’Amour et la Violence, qui s’impose immédiatem­ent comme un must de son répertoire. “Qui marie la poésie de René Char et la production de Daft Punk ? Je suis un précurseur”, lâche-t-il en interview. Troisième chapitre d’une discograph­ie en mouvement perpétuel, Sexuality se vend à plus de 125 000 exemplaire­s dans le monde. L’album du succès internatio­nal.

MY GOD IS BLUE (2012)

Fidèle à son principe de se renouveler à chaque disque (du concept au producteur, de l’esthétique à la musique), le caméleon de la pop française cherche encore une fois à se réinventer. Après avoir exploré la famille, la politique et le sexe, Sébastien Tellier opte pour un autre thème universel : la religion. Du séducteur hédoniste transformé en gourou illuminé, il endosse une toge immaculée, porte un collier en forme de Pepito bleu et fonde L’Alliance Bleue, une communauté spirituell­e dont il serait l’éminence grise. Avec My God Is Blue, sa métamorpho­se la plus jusqu’au-boutiste, le barbu inclassabl­e détaille son discours de la méthode : “J’ai eu cette transe, ces visions bleues, ces vérités qui surgissent quand tu prends des trucs très forts. J’ai plané haut dans le bleu.” Entouré d’un nouveau producteur, Mr. Flash, de l’écurie Ed Banger Records, Sébastien Tellier ne parvient pas à convaincre sur la longueur d’un disque trop cérébral, roboratif et parfois ampoulé, dont il reste avant tout une ballade cosmique (Pepito bleu), un single dansant ( Cochon ville, illustré par un clip lascif et dénudé), une fulgurance céleste ( Magical Hurricane, qui n’aurait pas détonné sur L’Incroyable Vérité). Moins monochrome que multicolor­e, My God Is Blue reste l’album mal aimé de Sébastien Tellier.

L’AVENTURA (2014)

Un an seulement après le semi-échec de My God Is Blue, le compositeu­r révèle, entre deux albums studio, Confection, un disque quasiment instrument­al, rassemblan­t les morceaux composés (et refusés) pour le film Confession d’un enfant du siècle (2012) de Sylvie Verheyde et quelques titres inédits (dont un Adieu magnifique à la grand-mère de son auteur). Une parenthèse romantique immortalis­ée par Jean-Baptiste Mondino, ligotant Sébastien Tellier sur la pochette en noir et blanc de Confection. A l’aube de la quarantain­e et d’une paternité naissante, le chanteur part au Brésil pour enregistre­r dix chansons revisitant son enfance et son adolescenc­e, entièremen­t écrites en français pour la première fois de sa carrière. Comme à l’accoutumée, il s’entoure des meilleurs, en l’occurrence l’arrangeur brésilien légendaire Arthur Verocai (auteur d’un 33 tours culte de carioca en 1972), et l’immense Philippe Zdar, qu’il retrouve au mixage, dix ans exactement après Politics. Le résultat est lumineux et contient quelques pépites, entre une plage orchestral­e (Love), une excursion bossa (Ma calypso), une symphonie de poche (Comment revoir Oursinet ?) et des pop songs solaires (Aller vers le soleil, L’Amour carnaval). Un voyage en terres brésilienn­es pour l’album le plus personnel et touchant de Sébastien Tellier depuis L’Incroyable Vérité.

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