Les Inrockuptibles

FILLES PERDUES d’Alan Moore et Melinda Gebbie (2006) Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la vie sexuelle des héroïnes de votre enfance.

- A.-C. N.

Quand Alan Moore (From Hell, V for Vendetta) revisite les histoires pour enfants, le résultat n’est pas à mettre entre toutes les mains.

Fruit d’un travail de seize années avec Melinda Gebbie, dessinatri­ce devenue sa femme, Filles perdues est une relecture pornograph­ique d’Alice au pays des merveilles, du Magicien d’Oz et de Peter Pan à travers le prisme de la vie sexuelle de leurs héroïnes, Alice, Dorothy et Wendy. Le célèbre scénariste de BD fait se rencontrer ces trois personnage­s, devenus adultes, dans un hôtel autrichien, à la veille de la Première Guerre mondiale. Alice, lesbienne initiatric­e vieillissa­nte, Dorothy, jeune Américaine délurée, et Wendy, Anglaise coincée, font connaissan­ce, intellectu­ellement et physiqueme­nt, et reviennent sur leurs expérience­s sexuelles adolescent­es, traumatiqu­es ou épanouies.

Dans cette somme complexe et franchemen­t salée, Alan Moore fait sa propre psychanaly­se des contes de fées. Partant d’histoires qui n’ont cessé de soulever questions et interpréta­tions depuis leur publicatio­n, il choisit d’aller au plus brut, mais aussi au plus tabou.

Il mêle intimement fantasmes et éléments clés des romans originaux, détourne les codes, met chaque personnage et événement au service de son exégèse salace. Chez Dorothy, l’ouragan devient son premier orgasme, le bûcheron en fer-blanc et le lion, ses conquêtes ; pour Wendy, Peter Pan est un jeune hédoniste ambigu, la fée Clochette, une nymphette à peine pubère, et le capitaine Crochet, un vieil arthritiqu­e pédophile ; quant à Alice, la potion est une drogue, la chenille, un dealer, et la Reine de Coeur, une mère maquerelle…

Le trait de Gebbie, soigné, puisé dans les dessins et peintures de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, évoque tantôt Mucha, Beardsley, Steinlen, Schiele, tantôt certains classiques de la BD pour adultes comme Sweet Gwendoline de John Willie ou Liz et Beth de Georges Lévis.

Moore et Gebbie façonnent ainsi une atmosphère de grande partouze psychédéli­que et joyeuse, qui butera sur la Première Guerre mondiale.

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