LE JOURNAL DE VALENTINA de Guido Crepax (1985)
L’auteur italien a su redonner ses lettres de noblesse à la fesse dessinée : la preuve avec Valentina, icône ultime à forte valeur érotique.
De l’oeuvre de Guido Crepax, Roland Barthes disait simplement “le dessin qui bande”. Barthes y aura vu la chair faite langage, préoccupation de cet ex-illustrateur de pochettes de disques de jazz, architecte de formation et surtout père de Valentina (née en 1965). Héroïne qui transcenda le fumetti, la BD coquine à l’italienne. Une icône de la “bande dessinée pour adultes” sans doute plus légitime qu’une Barbarella, parfaite incarnation des chapelles sixties en -isme : érotisme, esthétisme et même trotskisme.
D’abord personnage secondaire (copine d’un super-héros mineur, Neutron), Valentina la jet-setteuse, pas dupe et boudeuse, occupera le devant de la scène dans des intrigues de science-fiction, d’espionnage, virant progressivement à l’hallu saphique ou onaniste. Elle est selon l’auteur “la rêveuse masochiste, la photographe toute-puissante, la plus belle des androgynes avec le plus beau derrière du monde”. Crepax modèle son héroïne sur l’actrice du muet Louise Brooks. Sa frange, son regard lointain et, surtout, sa sensualité indécente de par son innocence même. Crepax et Brooks finiront même par se lier et correspondre, l’actrice lui avouant qu’il était le seul artiste, avec le cinéaste G.W. Pabst (Loulou), à avoir saisi son essence iconique : celle d’une “créature stupide, et qui n’existe pas”.
Jamais vulgaire, le trait épuré, le corps se fragmente de case en case, tel du split-screen ou les photogrammes d’un film expérimental. Crepax stratifie l’éros comme il se doit : réel, encore plus gratifiant lorsque irréel, chargé de psychanalyse et de politique, charnel et cérébral.