Les Inrockuptibles

LES INFORTUNES DE LA BELLE AU BOIS DORMANT d’Anne Rice (1983)

Cette trilogie a tout d’une récréation : pour son autrice et pour les lecteur·trices, embarqué·es dans un conte de fées habilement revu et corrigé en version SM.

- L. S.

Au rayon érotisme + fantastiqu­e, Anne Rice est bien sûr connue pour ses Chroniques des vampires, avec ses suceurs de sang hypersexué­s. C’est seulement dans les années 1990, au faîte de sa gloire vampirique, que l’autrice avoua avoir pris une petite récré SM, sous le pseudofran­cisant d’A. N. Roquelaure, avec sa trilogie dite des Infortunes de la Belle au bois dormant.

On savait que, loin de Charles Perrault, le conte originel était déjà très connoté puisque le Prince réveillait la pauvre Belle non d’un baiser mais en la violant. Image forte, très nécrophile, que n’ont pas oubliée les films Kill Bill – Volume 1 (Uma Thurman en sex-toy, plongée dans le coma) ou le Sleeping Beauty de Julia Leigh (de façon littérale). Rice brode longuement, après cette scène originelle, selon un curieux feuilleton à rebondisse­ments. Après avoir été “sauvée” par le Prince, Belle devient son esclave sexuelle, prétexte à mettre en scène un monde médiéval encore plus libidineux que dans Le Trône de fer, où des princes et princesses sont chair à harem, forcé·es à copuler, à ramper comme des animaux, à être fessé·es et humilié·es en public. Ce traitement est censé leur enseigner la sagesse.

Même si Rice déniaise la légende, le·la lecteur·trice est toujours un peu à distance, amusé. Ce petit monde ritualisé croise Histoire d’O (pour l’initiation) et Disneyland (avec ses esclaves transformé·es, exhibé·es en poneys à partir du second volume), où le licencieux est encadré, monté sur rails. Le style neutre, presque factuel, où les dialogues sont au bord de l’harlequina­de très épicée, renforce ce climat de parc d’attraction­s pour adultes. Dans sa préface, Rice écrit ainsi : “Le lecteur est invité à s’identifier avec les esclaves, à jouir lui-même de leur condition. Il ne s’agit pas ici de réelle cruauté, il s’agit de s’abandonner, de s’amuser à imaginer que vous n’avez d’autre choix que de prendre plaisir au sexe.”

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