Les Inrockuptibles

HISTOIRE D’O de Pauline Réage (1954)

Chef-d’oeuvre de la littératur­e érotique et mise en scène d’un SM mystique et extrême, Histoire d’O trouble toujours autant.

- E. P.

Histoire d’O est une ode à la soumission comme abandon absolu à l’autre. Pour Jean Paulhan, auteur de la préface intitulée “Le Bonheur dans l’esclavage”, ce roman est “la plus farouche lettre d’amour qu’un homme ait jamais reçue”. Et c’est à lui qu’elle était destinée, adressée par sa maîtresse Dominique Aury sous le pseudonyme de Pauline Réage. Paulhan avait mis la jeune femme au défi d’écrire un tel livre. A sa sortie, le roman fit scandale. François Mauriac décréta même qu’il s’agissait d’un livre “à vomir”. Aujourd’hui, Histoire d’O n’a rien perdu de sa charge transgress­ive ni de sa puissance érotique. Le sadomasoch­isme extrême qu’il met en scène demeure toujours aussi fascinant et subversif.

O consent librement à être enchaînée, lacérée, prostituée, marquée au fer rouge.

Par amour. “Sous les regards, sous les mains, sous les sexes qui l’outrageaie­nt, sous les fouets qui la déchiraien­t, elle se perdait dans une délirante absence d’elle-même qui la rendait à l’amour, et l’approchait peut-être de la mort.” C’est d’abord pour son amant, René, qu’elle accepte ces sévices. C’est lui qui la fait entrer au château de Roissy, où O est initiée aux règles de la vie d’esclave sexuelle. Un lieu clos aux allures de couvent plus que de bordel. Les femmes dorment dans des cellules, doivent rester silencieus­es et portent l’habit, non pas la robe et le voile, mais un corsage qui laisse voir les seins aux aréoles fardées de rouge et une jupe qu’il faut porter remontée dans une ceinture serrée. Elles peuvent être prises à tout instant et par n’importe qui, les maîtres comme les valets, souvent repoussant­s.

Les allusions à la vie monastique sont nombreuses dans Histoire d’O et viennent souligner la dimension mystique de cette extase dans la souffrance. En obéissant corps et âme aux désirs de ses maîtres, René d’abord puis Sir Stephen auquel elle est livrée, O entre pour ainsi dire dans les ordres – sexuels et non religieux. Dans l’ascèse, elle fait voeu de jouissance. Peu à peu exclue du monde, elle porte les stigmates de son bannisseme­nt : l’anneau au doigt ; celui, double avec “un triskel niellé d’or sur une face”, qui perce son sexe ; et sa chair marquée au fer rouge.

Mais O n’est jamais victime. “C’est une destructio­n dans la joie”, commentera laconiquem­ent Dominique Aury. Jusqu’au bout, O choisit son sort et assume son désir.

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En 1975, Just Jaeckin livre sa version d’Histoire d’O

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