QUERELLE DE BREST de Jean Genet (1947)
Un roman comme une lame de fond, qui porte le désir à son point d’incandescence, jusqu’à l’horreur.
Jean Genet publie Querelle de Brest en 1947, à Lyon. Le volume, infamant, pédéraste comme aucun autre dans la littérature française, restera six ans sans nom d’éditeur sur sa couverture, avant que Gallimard ne le ressorte en 1953, dans une édition quelque peu lavée. On se demande bien – maintenant que cette édition expurgée a été définitivement écartée du commerce (l’édition courante en Imaginaire Gallimard reprend le texte de 1947) – comment on a pu croire, même l’espace d’une seconde, pouvoir ôter à Querelle quoi que ce soit de sa charge érotique : c’est simple, elle est partout, dans tout. Pas un mot, pas une image qui en réchappe, qui ne fasse pas la démonstration, la déplie, de toute sa puissance évocatrice. Alors, Querelle de Brest coule. Il coule du désir qui l’inonde jusque dans les interstices de la phrase.
La page, Genet l’envisage comme une lame de fond qui va, vient, déferle, se brise, se retire pour composer dans l’écume une série de fantasmes, une association de fantasmes : un fantasme de marin s’épanouissant dans un fantasme de meurtre sordide, se faisant tailler des pipes par des fantasmes de matelots jusqu’à ce qu’un fantasme de lame s’enfonce dans un fantasme de carotide, et Genet, repu, de pouvoir enfin, à ce terme, parler du “tendre des roses, du rouge des fraises” de la gorge quand on la tranche, quand la lame coupe le marin de sa vie.
Son érotisme ne travaille qu’à ça : pousser les paradoxes du désir à leur summum de vérité, plonger jusque dans l’honnêteté d’un désir toujours mêlé d’horreur, écrire des images jusqu’à faire éclore de beaux oxymores, ces beaux oxymores armés de lames que sont ces anges incapables d’autre chose que de perfection esthétique et ne trouvant nulle part ailleurs que dans le crime l’extrême pointe de leur présence au monde, là, parmi la brume de Brest, le pantalon blanc taché du sperme crème d’un autre.