LE CON D’IRÈNE de Louis Aragon (1926)
Une oeuvre sauvée in extremis de la destruction mais reniée par son auteur, qui laisse ici libre cours à un flot de libido littéraire.
Nous sommes en 1926 et Louis Aragon, 29 ans, a laissé définitivement tomber ses études de médecine pour se consacrer aux activités du groupe surréaliste, où il tient le rôle de second d’André Breton. Seulement, la poésie ne nourrit personne. Aragon signe un drôle de contrat avec le couturier et collectionneur Jacques Doucet : chaque mois, contre la somme de 1 000 francs, il lui livrera ses écrits. Aragon, dans une sorte de rage graphomane motivée par la faim, écrit une grande oeuvre intitulée La Défense de l’infini. Le Con d’Irène est le seul fragment qui en demeure aujourd’hui. Louis Aragon est à l’époque l’amant de Nancy Cunard, héritière richissime de la compagnie Cunard qui vit couler son plus beau fleuron, le Titanic. Leur liaison est houleuse. En novembre 1927, dans un accès de rage (auto)destructrice, Aragon détruit la plus grande partie (1 500 feuillets, dit-il) de La Défense de l’infini dans un hôtel de la Puerta del Sol, à Madrid – avant, quelque temps plus tard, de tenter de mettre fin à ses jours lors d’un séjour vénitien avec Nancy.
En douze chapitres, le poète écrit une oeuvre éclatée où se reflètent toutes ses contradictions. Aragon, comme ses amis surréalistes, croit à l’amour fou : contre la pornographie perverse du bourgeois (dans Le Con d’Irène, Aragon va au bordel, décrit les ébats auxquels il assiste mais avec une sorte de dégoût), l’orgasme ne trouve son point culminant que dans l’union absolue, même temporaire, entre un homme et une femme.
L’érotisme est d’abord dans cette libido littéraire qui innerve le livre, une sorte de jet continu de poésie entrecoupé de stases plus romanesques. Ensuite dans ces descriptions cauchemardesques ou fascinées de la liberté sexuelle des autres, des émissions séminales du sexe d’Irène aux ébats plus ou moins incestueux et lesbiens de sa mère. Mais si Le Con d’Irène est un livre qui comporte des scènes pornographiques, rarement son auteur semble y trouver un quelconque plaisir, loin des fanfaronnades machistes de la plupart des pornographes.