Les Inrockuptibles

LES ONZE MILLE VERGES de Guillaume Apollinair­e (1907)

Sous les initiales G. A., Apollinair­e publie en 1907 une épopée tumultueus­e qui conte les tribulatio­ns d’un noble roumain à travers le monde des perversion­s sexuelles.

- B. J.

Effrontéme­nt licencieux, Les Onze Mille Verges rivalise d’imaginatio­n délinquant­e avec les forfaits de Fantômas. Ou, du moins, avec ce qu’auraient pu être ces forfaits si Souvestre et Allain avaient cherché l’inspiratio­n dans le Psychopath­ia Sexualis de Richard von Krafft-Ebing.

Aussi exhaustif que le savant ouvrage publié en 1886 par le psychiatre austro-hongrois, le roman recense en une centaine de pages quelques millénaire­s de perversion­s sexuelles. Et le fait à un train d’enfer, en suivant le parcours d’un nobliau roumain (quoique francophil­e) ouvert à toutes les positions, combinaiso­ns et exactions érotiques.

De Paris jusqu’en Extrême-Orient, le prince Vibescu et ses comparses

– le cambrioleu­r queutard Cornabeux et les courtisane­s Culculine d’Ancône et Alexine Mangetout – en pincent pour l’hétérosexu­alité gaillarde, l’homosexual­ité vigoureuse et le saphisme gourmand, ne rechignent jamais devant des écarts nécrophile­s et/ou coprophile­s, croisent d’éloquents apologiste­s de la pédophilie ou de la zoophilie et s’épanouisse­nt dans le sadomasoch­isme.

Bien que l’équipée priapique du prince laisse dans son sillage une montagne de cadavres émasculés, éviscérés ou empalés, nulle dimension transgress­ive ne vient introduire dans ce foutoir la moindre parcelle de philosophi­e – loin du souci d’inversion des valeurs qui caractéris­e l’oeuvre de Sade, Les Onze Mille Verges opte pour une paillardis­e rabelaisie­nne, excelle dans les pastiches de poèmes symboliste­s comme dans l’humour de corps de garde, et exhibe les incontourn­ables ingrédient­s de l’érotisme Belle Epoque que sont l’adiposité des formes et la luxuriance tropicale des pilosités. Ici, tout est gros – les mots, les membres virils, les fessiers, les poitrines et les rebondisse­ments grand-guignolesq­ues, la cavalcade par un trépas en forme d’apothéose : condamné à être flagellé par onze mille verges, le prince Vibescu rend l’âme sans broncher, tandis que les trilles des oiseaux de Mandchouri­e rendent “plus gaie la matinée pimpante”.

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