MÉMOIRES DE FANNY HILL, FEMME DE PLAISIR de John Cleland (1748)
Une jeune fille du XVIIIe siècle raconte sa vie de travailleuse du sexe en gardant la distance vertueuse de l’amoureuse. Le premier roman pornographique britannique longtemps censuré.
“Ce jeune et soyeux duvet éclos depuis quelques mois et qui promettait d’ombrager un jour le doux siège des plus délicieuses sensations, mais qui jusqu’alors avait été le séjour de la plus insensible innocence.” L’un des grands charmes de Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir réside dans ses circonlocutions foisonnantes pour désigner la bagatelle. Suffisant pour que les censeurs en 1748, année de parution, accusent le livre et son auteur John Cleland de “corrompre les sujets de Sa Majesté”. Et pour que le premier roman pornographique anglais soit longtemps lu et publié sous le manteau dans sa version uncut. Le livre fut encore jugé en 1964 lorsqu’un éditeur londonien tenta de le republier. Perversion, décréta la justice britannique, sur la foi d’une scène de flagellation. Elle eut gain de cause.Mais, rassurons-nous, les Britanniques peuvent de nos jours lire Fanny Hill sans faire de vagues.
Le livre se présente sous la forme de deux longues lettres autoapologétiques écrites par l’héroïne à une mystérieuse destinataire. Fanny, ex-travailleuse du sexe, justifie son parcours : comment, orpheline, elle finit bonne dans un bordel dont la patronne veut la prostituer. Comment sa virginité devient un enjeu. Comment Fanny découvre le plaisir avec les femmes, le voyeurisme puis l’amour de sa vie, un jeune noble du nom de Charles. Comment le destin sépare Charles et Fanny. Comment Fanny gagne sa vie en monnayant son corps. Un tunnel de péripéties, d’ébats à deux, à plusieurs, homo/hétérosexuels, tout en rondeur et volupté.
Mais la grande affaire de Fanny dans sa confession est d’affecter sa distance dans le récit du stupre, d’être une verbeuse vertueuse. Loin de virer hypocrite après moult pages d’“engins” passant sur le gazon, Mémoires de Fanny Hill penche vers le manifeste individualiste où l’on dispose de son corps. Apollinaire, qui signa la préface d’une édition française, estimait qu’elle était “la soeur anglaise de Manon Lescaut, mais moins malheureuse”.