Les Inrockuptibles

Magnetic Fields

Quickies (Nonesuch/Warner)

- Rémi Boiteux

Rendant ses lettres de noblesse à l’épithète “ciselé”, Stephin Merritt confection­ne une collection de chansons courtes aux idées longues.

AU FIL D’UNE DISCOGRAPH­IE RICHE EN ALBUMS LONGS,

Stephin Merritt a souvent excellé dans l’écriture de morceaux de deux ou trois minutes. La brièveté est le motif de ce Quickies (littéralem­ent, “coups vite fait”, connotatio­n sexuelle incluse), dont les vingt-huit titres s’étalent sur cinq ep en format vinyle. Plus encore qu’un Luke Haines qui raffole de concepts, Merritt est, avec ses Magnetic Fields, une sorte de Georges Perec du disque pop – peut-être ici plus que jamais.

Distortion (2008) était tout entier conçu autour de l’effet qui lui donnait son titre, quand Realism (2010) s’en remettait à l’acoustique. Ses magna opera chiffrés et pléthoriqu­es, 69 Love Songs (1999) et 50 Songs Memoir (2017), proposaien­t, en un nombre donné de morceaux, de retracer la biographie de l’auteur année par année, ou de faire le tour de la chanson d’amour. D’apparence plus modeste avec ses quarante-cinq minutes et ses arrangemen­ts miniaturis­és, Quickies est de la même eau. Deux minutes sont ici la norme, beaucoup de titres restant même en-deçà, avec pour autre contrainte de n’utiliser qu’un seul instrument.

Parfaite illustrati­on du précepte less is more, le résultat ressemble à une boîte aux trésors. La réjouissan­te The Biggest Tits in History, l’hymne anarchiste

The Day the Politician­s Died, la romance sparksienn­e My Stupid Boyfriend, le jazz détourné de Evil Rhythm : chacun de ces Quickies est un origami malin qui se déplie dans la tête de l’auditeur avec de multiples effets. Ici, l’impression d’un coitus interruptu­s jouant sur la frustratio­n inhérente au calibrage, là un trompe-l’oeil faisant passer une miniature pour un monument.

S’amusant avec les formes traditionn­elles, cette large variété de rendus, loin de diluer le propos, surenchéri­t sur ses glorieux prédécesse­urs dans l’exercice : les précieux punks Minutemen et leurs expéditifs brûlots, ou le Commercial Album (1981) des Residents avec ses vignettes acides de 60 secondes. A l’instar de ces derniers, The Magnetic Fields commente et fait de la pop. De la pop canonique ou déviante, beatlesien­ne, postbeatle­sienne et même prébeatles­ienne, rappelant que peut-être (Stephin étant le fils biologique du grand Scott Fagan) le songwritin­g supérieur coule à travers les gènes. Et que les coups vite faits peuvent être de sacrés bons coups.

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