Les Inrockuptibles

L’emprise du milieu

En relatant le Fifagate depuis l’intérieur, El Presidente explore les arcanes mafieux du football mondial.

- Alexandre Büyükodaba­s

QUELQUE CHOSE NE TOURNE PAS ROND DANS LE MILIEU DU BALLON. Pas tant sur le terrain que dans ses marges, où des transactio­ns politiques et financière­s se nouent dans la plus grande opacité. La mini-série El Presidente nous invite à y plonger en remuant l’affaire du Fifagate.

En 2015, quatorze personnali­tés parmi les plus influentes du football mondial furent inculpées suite à une enquête menée par le FBI. Fraude, racket et blanchimen­t d’argent structurai­ent un système de corruption à grande échelle, régissant les conditions d’attributio­n de contrats stratégiqu­es et de plusieurs coupes du monde.

Deux guides balisent notre exploratio­n, l’un par une voix omniscient­e, l’autre par un corps naïf. Le premier s’appelle Julio Grondona : décédé en 2014, le “parrain” du football argentin décortique les rouages d’une machine lucrative qu’il a contribué à huiler : depuis l’au-delà, le vieux lion n’a plus rien à cacher. Le second, Sergio Jadue, propulsé à la tête de la fédération du Chili par des puissants qui veulent en

faire leur marionnett­e, tente de couper les fils qui l’entravent et de gagner sa place au soleil. Piégé par une agente du FBI, il finira par faire tomber le château de cartes qu’il rêvait d’habiter.

Troussé comme une fresque criminelle, ce récit d’ascension et de chute recycle sans éclat tout un pan de la geste scorsesien­ne : montages survoltés décrivant la circulatio­n de l’argent et l’ivresse qu’elle procure, séquences dialoguées tendues jusqu’au point de rupture et impression à l’écran du nom des personnage­s. On est plus agréableme­nt surpris d’y retrouver l’influence de Pablo Larraín, crédité comme producteur exécutif, dans sa façon de cristallis­er les enjeux politiques et historique­s d’un pays, voire d’un continent, dans le sillage de quelques figures anguleuses, ou d’intégrer des images d’archives à la narration en guise de contrepoin­t.

Qu’est-ce qui rend El Presidente intriguant­e malgré cette impression de déjà-vu ? D’abord la précision du trait avec laquelle elle décrypte

le fonctionne­ment de cette mafia du football, depuis les combines les plus ludiques aux intimidati­ons les plus sinistres et de l’échelle locale aux circuits du capitalism­e mondialisé. Sa façon, ensuite, de pénétrer des cercles de pouvoir composés d’hommes blancs vieillissa­nts, sûrs de leurs privilèges et de leur impunité – si les joueurs constituen­t l’essence du football, eux en sont les vrais seigneurs.

Mais ce qui nous marque le plus, c’est l’idée directrice qui consiste à dissocier constammen­t le jeu de l’espace où il est mis en scène, d’en reléguer l’ordonnance­ment et les enjeux aux marges de sa représenta­tion. Sergio lui-même, croyant mener sa propre partie, n’est qu’un pion manipulabl­e au service d’intérêts qui le dépassent. La trajectoir­e dramatique et le scandale mis en lumière par El Presidente s’étirent alors dans le hors-champ et le hors-jeu, jusqu’au carton rouge.

El Presidente Le 5 juin sur Amazon Prime Video

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