Les Inrockuptibles

Massacre à l’italienne

- Sylvie Tanette

CATERINA BONVICINI dépèce avec jubilation une famille de la bourgeoisi­e milanaise, et invite à repenser toutes les relations.

ELLES SONT TOUTES ICI, LES FEMMES DE VITTORIO, rassemblée­s autour de la table : son épouse, son ex-épouse, sa mère, sa soeur, ses deux filles et même sa jeune amante. Sauf que Vittorio ne viendra pas dîner. Chacune doit alors s’interroger sur l’attitude qu’il convient d’adopter, et tout un bel édifice d’apparences va s’écrouler.

Comme dans son livre précédent, Bonvicini pose un regard plein d’ironie sur cette classe sociale bourgeoise qu’elle déconstrui­t avec une cruauté amusée. Mais si Le pays que j’aime faisait référence à l’histoire politique italienne, le propos de ce nouveau roman est plus large, comme une dénonciati­on de nos sociétés modernes où les hommes sont encore et toujours au centre du monde.

Chaque femme ici va réfléchir à la façon dont sa vie s’est presque naturellem­ent organisée autour de celle de Vittorio, brillant écrivain plein de charme. Sans qu’elles en aient pris conscience, leurs propres désirs ont souvent été étouffés. Reste que ces femmes d’âges divers, de l’adolescent­e à la grand-mère, se détestent. L’art de Bonvicini est de démontrer combien la présence de Vittorio les a mises en concurrenc­e. Mais il n’est pas seulement question de la condition des femmes.

Bonvicini dénonce plus généraleme­nt une situation qui pousse les individus, quels qu’ils soient, à s’enfermer dans des rôles préétablis (la mère parfaite, l’ambitieuse, le séducteur). Soit un marché de dupes qui rend impossible tout épanouisse­ment.

Au milieu des vieilles rancoeurs, des existences ratées ou rattrapabl­es, entre coups d’éclat et rebondisse­ments, le roman nous donne à voir l’envers de la bourgeoisi­e milanaise d’aujourd’hui : intellectu­elle, industrieu­se, efficace, mais fermée sur ses non-dits, ses compromiss­ions et ses contradict­ions.

Mais le meilleur reste à venir : à la fin du livre, Vittorio prend la parole et s’explique sur son absence. Cet épilogue est un chef-d’oeuvre d’intelligen­ce qui finit de faire exploser ce modèle de société figée que Bonvicini déchiquett­e, avec un évident plaisir.

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 ??  ?? Les Femmes de (Gallimard), traduit de l’italien par Lise Caillat, 224 p., 19 €
Les Femmes de (Gallimard), traduit de l’italien par Lise Caillat, 224 p., 19 €

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