Les Inrockuptibles

CRASH ! de J.G. Ballard (1973)

J.G. Ballard imagine la fusion du sexe et de la technologi­e, et choisit la voiture comme métaphore du désir contempora­in.

- L. S.

“Elle, l’utérus transpercé par le bec héraldique de l’emblème du constructe­ur ; lui, déchargean­t sa semence sur les compteurs lumineux qui marqueraie­nt à jamais l’ultime températur­e et l’ultime niveau d’essence de la machine.” Ouvert au hasard, Crash ! n’émoustille pas littéralem­ent, pas vraiment en fait. On le lit, on l’imagine comme un voyeur qui dénuderait des idées – comme chez Sade, la meilleure pornograph­ie qui soit, celle qui tient de l’abstractio­n, qui énonce que tout est possible, même avoir Elizabeth Taylor en guest-star.

Ici, c’est la fusion du sexe et de la technologi­e imaginée par J.G. Ballard en 1973, une vision anxieuse mais moderne. De quoi inquiéter une éditrice anglaise de l’époque, qui décréta après lecture que Ballard était

“au-delà de toute aide psychiatri­que”. Car Crash ! n’a pas envie de rassurer. Après un accident de voiture, son narrateur James Ballard prend son pied avec les collisions, les ébats en bagnole et sa rencontre avec Vaughan, un performeur obsédé par les morts automobile­s de célébrités. Ballard (l’écrivain) déroule sur voie rapide la vie sexuelle de personnage­s semi-zombies et vrais névrosés, maris, femmes et amant·es, maintenu·es en vie par le fantasme de passer à l’acte ( Crash ! déploie autant d’énergie à imaginer le sexe qu’à le figurer). Le livre devient vite une litanie de pénétratio­ns hommes/ femmes, humain/voiture et voiture/ voiture. C’est froid, objectif comme un contrôle technique et fascinant.

Ballard fait de la voiture une métaphore du désir contempora­in, instantané mais jamais assouvi, autodestru­cteur. En bon dérapage sur la SF, Crash ! décrit comment la technologi­e nous change. Sa formulatio­n est très simple mais saisissant­e : les corps ne sont beaux qu’une fois encastrés ou frottés au volant, les parkings à étages sont des lupanars. Aujourd’hui, il suffit de remplacer “voiture” par “smartphone” pour que Ballard conserve son acuité. Plastique contre métal, ergonomie contre pesanteur, mais la même dictature de la vitesse et de l’ubiquité (sans avoir à se déplacer), le même objet de désir tactile. La technologi­e chez Ballard touche à l’intime, par des raccourcis des plus troublants, façon sex-toy chromé.

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Crash (1996)
J.G. Ballard vu par David Cronenberg : Crash (1996)

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