Les Inrockuptibles

Canción sin nombre de Melina León

- Bruno Deruisseau

Un premier long d’une puissance formelle rare sur le trafic d’enfants, volés puis vendus à l’étranger, qui a touché le Pérou dans les années 1980.

PREMIER LONG MÉTRAGE PRÉSENTÉ L’AN DERNIER

À LA QUINZAINE DES RÉALISATEU­RS, Canción sin nombre nous plonge dans le Pérou des années 1980, tant par le cadre spatiotemp­orel de son récit que par la forme du film, puisque la réalisatri­ce Melina León a recours à un format 4 : 3 aux coins arrondis et à une image granulée noir et blanc qui confèrent au film une esthétique d’archive télévisuel­le. C’est bien une archéologi­e de l’informatio­n que raconte Canción sin nombre, à travers le combat que mène une mère pauvre pour retrouver le nouveau-né qu’on lui a volé et l’enquête du journalist­e qui accepte de l’aider.

Le scandale des bébés volés auquel le film fait référence a bel et bien eu lieu. Il permet de sonder une société péruvienne kafkaïenne, rongée par les discrimina­tions envers les indigènes, les pauvres et les homosexuel­s. La façon dont

le film dresse le portrait, en noir et blanc et compositio­ns léchées, d’un Etat inégalitai­re à travers la figure d’une jeune femme exploitée et mutique rappelle évidemment le Roma (2018) d’Alfonso Cuarón (avec lequel il partage aussi une scène d’accoucheme­nt). Sauf qu’à l’inverse de son cousin mexicain, Melina León semble plus préoccupée par l’enregistre­ment d’une réalité ethnograph­ique qu’obsédée par l’édificatio­n de son propre génie. La dialectiqu­e que le film instaure entre des plans larges sublimes, où les corps des personnage­s se perdent dans l’immensité, et des cadrages serrés sur les visages et leur douleur donne à ce premier film une puissance formelle rare.

Canción sin nombre de Melina León, avec Pamela Mendoza, Tommy Párraga, Lucio A. Rojas (Pér., Esp., E.-U., 2019, 1 h 37)

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