Les Inrockuptibles

Benni de Nora Fingscheid­t

- Emily Barnett

Le portrait turbulent d’une gamine souffrant de problèmes psychologi­ques dans un premier long métrage attachant.

“BENNI” N’EST PAS DU GRAND CINÉMA, MAIS IL POSSÈDE TOUT ce que peut avoir un film sur l’enfance pour faire rêver les adultes. Dit autrement, Benni, le film, n’est pas une grande forme parce que Benni, la personne, ne lui en laisse jamais le temps : sa jeune existence de neuf ans va trop vite, nous condamne à courir après elle, témoins sans cesse pris de vitesse et toujours essoufflé·es, mais ravi·es de l’être car on ne sait jamais vers quel hors champs mystérieux l’action va nous mener.

D’abord, un cri, des insultes, une tête blonde qui fonce dans un mur ou une vitre, qui hurle, se blesse. C’est drôle et terrible. On rit en se mordant le poing. Ainsi s’ouvre ce film tout en énergie éruptive, rugissemen­ts et pétages de plombs infantiles. Ainsi va la vie de Benni, donc, fillette souffrant de troubles du comporteme­nt qui font d’elle un danger pour les autres (sa mère incapable de gérer son éducation) et surtout pour elle-même. Ses pics de suractivit­é en font une candidate idéale pour institutio­ns spécialisé­es en enfance inadaptée : mais voilà que celles-ci sont sur le point de jeter l’éponge, tant Benni est ingérable, une menace pour les autres gosses, sans que l’option HP n’offre une alternativ­e valable – alors, que faire ? Le dilemme et sa résolution (son absence, plutôt, en conclusion d’un film d’une impeccable honnêteté qui ne propose aucune réponse toute faite) seront laissés en suspens le temps d’une amitié entre l’enfant et l’un de ses éducateurs, qui va tenter l’impossible et jouer avec les limites de la déontologi­e en la prenant sous son aile : sublime erreur.

L’enfant s’attache, son mentor aussi, beau gosse et grand frère, père de substituti­on, roc, sauveur, et l’on se prend à rêver de ces amitiés entre enfants et adultes au cinéma : tout en haut du podium, Un monde parfait, célébrant l’élégiaque cavale de Costner et son petit prisonnier. Et Léon... Léon ?! Oui, Léon de Luc Besson, entre le bad-boy-next-door Jean Reno et sa jeune disciple bientôt armée Natalie Portman.

Benni est un vrai film attachant et punk à sa façon. Pas loin d’être inoubliabl­e, révélant autant qu’elle le révèle son actrice, la jeune Helena Zengel, l’enfance faite tornade, un ange blond jouant à être possédée par le diable, déjà repérée par la galaxie Netflix. C’est aussi le premier long métrage de Nora Fingscheid­t, réalisatri­ce allemande de 36 ans qui s’impose ici avec un beau mélange de sensibilit­é épidermiqu­e et de fougue tout à trac, dans la lignée des portraits de d’autres petites filles turbulente­s telle Zazie ou l’héroïne des Malheurs de Sophie.

Benni de Nora Fingscheid­t, avec Helena Zengel, Albrecht Schuch, Gabriela Maria Schmeide (All., 2019, 1 h 58)

du coronaviru­s, la farce sanguinole­nte de Craig Zobel se dévoile donc enfin, et déçoit. Car The Hunt, produit par le pape de l’horreur Jason Blum, donne en fait surtout l’impression de ne pas se prendre suffisamme­nt au sérieux, ou alors seulement quand ça l’arrange : capable d’enfiler un bel habit de satire politique, et tout aussi bien de le retirer quelques minutes plus tard, pour se contenter d’un programme de comédie gore écervelée.

Il y a, cela a été dit, un peu des Chasses du comte Zaroff (le motif de la chasse à l’homme comme symbole ultime de décadence aristocrat­ique), mais il y a surtout beaucoup de Fortnite (un décor dévoilé comme une map de jeu “battle royale”, après une distributi­on d’armes de guerre) : une espèce de violence collective ludique et dénuée de sens, croulant sous les mauvais sarcasmes et se fichant finalement pas mal de qui elle tue, qui elle venge, qui elle juge et comment.

Le film entretient avec ses stéréotype­s sociopolit­iques un rapport très opportunis­te et malveillan­t, camouflé sous une épaisse couche de “second degré” bien commode. Très loin de la virtuosité d’un Green Room ou du plus méconnu Red State dans son portrait du clivage rural américain, The Hunt en est un mauvais reflet ; il est en revanche un très bon reflet de l’ère de l’ironie permanente, et des fake news (à commencer par celle qui voudrait que Trump l’ait “censuré”). En cela, il a donc finalement gagné son pari : c’est bien le “film de son époque”.

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Betty Gilpin

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