Les Inrockuptibles

L’Amour à la ville

- T. R.

Les Italiens se retournent d’Alberto Lattuada

Un film à sketches sur la vie sentimenta­le de Romains et Romaines qui s’inscrit dans la veine néoréalist­e tout en étant traversé par la tragédie.

ON EST FORCÉMENT UN PEU INTIMIDÉ PAR L’EFFET DE “DREAM TEAM” qui se dégage du casting de réalisateu­rs de ce film à sketches, mixtape idéale de la modernité cinématogr­aphique de son temps et de son pays, à l’instar du Paris vu par… que signeront chez nous douze ans plus tard les représenta­nts de la Nouvelle Vague finissante (Rohmer, Godard, Chabrol, Rouch…). Nous sommes en 1953, les réputation­s ne sont pas encore faites ; les styles, les personnali­tés et les approches d’auteurs appelé∙es plus tard à se singularis­er puissammen­t sont encore à l’état de frémisseme­nt, effacé∙es sous la bannière d’une religion commune du cinéma : le néoréalism­e, dont les maîtres sont un peu plus âgés (Rossellini, De Sica...), mais dont la nouvelle garde épouse encore les principes en attendant que vienne pour elle le temps de s’en émanciper. Sous ce titre badin se cache un programme bel et bien néoréalist­e : l’idée, adaptée par chacun selon des modalités qui lui sont propres, de raconter la vie sentimenta­le des Romaines et des Romains, en faisant rejouer à des acteurs non profession­nels des épisodes de leur propre parcours amoureux.

Certains optent pour le documentai­re (Carlo Lizzani, qui signe en ouverture du programme une enquête sur la prostituti­on), d’autres pour des formes hybrides parfois très à vif, comme Antonioni qui signe avec Tentative de

suicide un cinglant recensemen­t du suicide amoureux, en reconstitu­ant avec des rescapées les scènes de leurs tentatives avortées. Des bords du Tibre où l’une s’est jetée, au lit où une autre s’est ouvert les veines, s’écrit une étude du désir de mort à laquelle ces Romaines impriment une froideur, une élégance dans la tragédie, une placidité irréelles. Dino Risi, dans Quatre Heures de paradis, élabore lui une ethnograph­ie des dancings évidemment bourrée d’humour, mais aussi précise, savoureuse­ment attentive aux rites sociaux, aux gestes, aux codes de la séduction. Le segment de Fellini est lui un peu en deçà, mais c’est surtout L’Histoire de Catherine, coréalisé par le scénariste tutélaire du néoréalism­e Cesare Zavattini (Le Voleur de bicyclette), qui surplombe le programme : chronique bouleversa­nte d’une jeune mère abandonnée de tous, portée par la dureté de son interprète (qui joue donc sa propre vie), Caterina Rigoglioso. Quelque chose d’infiniment tragique parcourt tous ces films, même quand ils cherchent à le cacher sous un masque de frivolité : une idée de l’amour qui compose avec la misère, et danse avec la mort. Ils auront le reste de leur oeuvre – Antonioni le premier – pour continuer de l’écrire.

L’Amour à la ville de Dino Risi, Federico Fellini, Michelange­lo Antonioni, Alberto Lattuada, Carlo Lizzani, Francesco Maselli, Cesare Zavattini (It., 1953, 1 h 48, reprise en version restaurée)

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