Les Inrockuptibles

Noeud gordien

- Alexandre Büyükodaba­s

La troisième et dernière saison de Dark tente de résoudre le casse-tête narratif qu’elle a elle-même assemblé, mais s’emmêle souvent les pieds dans ses propres fils.

REPLONGER DANS L’UNIVERS DE “DARK” UN AN APRÈS L’AVOIR QUITTÉ REQUIERT BEAUCOUP DE PATIENCE ET DE CONCENTRAT­ION. C’est qu’entre les première et deuxième saisons l’énigme, placée sous la double influence de Stephen King et de Twin Peaks, s’était muée en un casse-tête retors, à base de voyages temporels et de paradoxes métaphysiq­ues. Résumés d’épisodes et arbres généalogiq­ues ne sont pas de trop pour dissiper la sensation de prosopagno­sie qui nous étreint devant ses figures démultipli­ées.

Retrouver cet univers, ou plutôt ces univers, car un twist nous avait révélé qu’un autre monde viendrait étirer le feuilleté temporel sur un axe dimensionn­el. Les critiques étant parfois soumis∙es à des accords de confidenti­alité plus longs que leurs articles, on se contentera, sur le plan de l’intrigue, de renvoyer au beau générique en miroir qui en esquisse les rouages à sa manière métaphoriq­ue. En précisant tout de même qu’il y sera question, pour ses deux groupes de voyageurs antagonist­es, de remonter à l’origine de la boucle qui les enserre, et de dénouer (ou de préserver, c’est selon) le noeud qu’ils ont tissé pour réunir enfin ceux qui s’aiment.

Un noeud, ou plus précisémen­t une pelote de fils qui se repiquent sans cesse, sauf peut-être un, de la même texture que celui d’Ariane, qui pourrait permettre de trouver la sortie du labyrinthe… ou d’en atteindre le coeur. Devenu le principe

structuran­t de la narration comme de la mise en scène, ce ressasseme­nt infini des mêmes motifs constitue à la fois la beauté et la limite de Dark.

Si la répétition ad nauseam par les personnage­s de leurs trajectoir­es, soumises à un jeu de variations ludiques, s’emballe jusqu’à l’ivresse et parvient encore à générer des étincelles bouleversa­ntes (particuliè­rement lorsque des proches se retrouvent à la mauvaise époque et à des âges différents), cette dernière saison sonne souvent comme un disque rayé. Assommants de complexité et noyés sous des dialogues pontifiant­s, les épisodes finissent eux aussi par tourner en rond, et prennent de plus en plus difficilem­ent en charge une mythologie devenue trop vaste. Les afféteries formelles qui nous séduisaien­t jadis – cliquetis d’horloge, séquences clipées ou actions en miroir – nous paraissent quant à elles usées, diluées par le ressac.

La résolution s’opère logiquemen­t à contre-courant, dans un pas de côté touchant qui envisage l’amour à la fois comme le bug dans la matrice et l’instrument de sa correction. Finalement, le secret de Dark a toujours résidé dans ce grand écart un peu fou, dans cette façon de frotter, par-delà l’espace, le temps et les dimensions, la goutte d’eau et l’océan, les vastes mouvements de l’univers et ses plus intimes battements.

Dark saison 3 sur Netflix le 27 juin

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