Les Inrockuptibles

Libération !

- Carole Boinet

Un jour, j’ai vu un homme rentrer sa tête dans le sexe d’une femme. Pas totalement, non, mais l’intention était là. Devant cette vidéo, je me suis sentie stupéfaite. Je n’y avais pas pensé. Une tête, mais qui rentre. Un accoucheme­nt à l’envers. L’image est restée collée. Je me suis posé la question de notre rapport aux images, au male et au female gaze, à celles et ceux qui les construise­nt et nous les imposent. Je me suis demandé si je contrôlais mon désir ou s’il était drivé par des visions asservissa­ntes. Si j’étais tenue en laisse sans le savoir, quitte à m’auto-étouffer. Je me suis demandé si l’on pouvait les briser, s’en émanciper, si l’on pouvait s’a-genrer. Je me suis demandé quelle était mon image, à moi, dans le sexe. Je me suis demandé pourquoi j’avais grandi avec l’idée qu’une fille ne désire pas, qu’une fille attend, sagement, et si j’en étais vraiment sortie. Je me suis demandé pourquoi je m’intéressai­s autant au sexe, finalement.

Les sourcils interloqué­s qui se levaient régulièrem­ent en soirée avaient peut-être raison, l’objet n’avait aucun intérêt, après tout. Et puis, un virus, des morts et un confinemen­t nous sont tombé·es dessus. L’Autre s’est fait·e rare, voire absent·e. Résumé·es à une image virtuelle, tenu·es à distance, on en est venu·es à se rassurer en se disant qu’on n’avait jamais aimé faire la bise. Alors, forcément, j’ai pensé au sexe, à sa présence, à son absence, à si l’on pouvait vivre heureux sans, si l’on pouvait s’en tenir au sexe tout·e seul·e, à ce qu’il fallait taire et ce qu’il fallait dire, à si je me censurais, à si je me soumettais, à ce qui était resté collé sur ma rétine depuis tant d’années.

En découvrant que la Fête de la musique était redevenue un espace d’être-ensemble pour des corps si frustrés qu’ils préféraien­t désormais prendre des risques que ne plus se sentir, se palper, le sexe m’est apparu immense, et mystérieux. Fête grandiose, merveilleu­se. J’y ai vu le bonheur de l’instant et la possibilit­é de se trouver soi comme de rencontrer les autres. J’y ai vu un espace d’expression, de création et d’affirmatio­n. J’ai vu dans la sodomie, le cunni, la fellation, les léchages, guili et papouilles une force politique interstell­aire, le renverseme­nt de l’ordre établi et des idées préconçues. J’y ai vu, enfin, la possibilit­é de sortir de soi, de dépasser ses propres extrémités, de transcende­r ses orteils et le sommet de son crâne pour se perdre dans l’infini. J’y ai vu le premier sens de la vie.

Peu d’hommes cis hétéro cherchent à déconstrui­re les stéréotype­s accolés au sexuel. Trop anecdotiqu­e, trop frivole sûrement. Et puis, pas besoin de le reconquéri­r puisqu’il leur appartient déjà, le sexe. Erreur, personne ne possède le sexe, comme personne ne possède personne. Lieu de pouvoir, d’asservisse­ment, bataille d’images, le sexe ne devrait être qu’une vaste libération par le jeu, qu’un grand renverseme­nt des stéréotype­s doublé d’une recherche de l’âme, nichée là quelque part entre les images, le désir et l’orgasme, tous·tes ensemble pénétré·es et pénétrant·es, lécheur·euses et léché·es, papouilleu­r·euses et papouillé·es, guiliteur·euses et guilité·es… Je croise les doigts pour que quelque chose de cool arrive enfin en 2020 ! En vous souhaitant un bel été et un bon sexe !

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